Régulièrement, j’entends, je lis ou je vois des choses qui m’agacent. Aujourd’hui, c’est la notion de plage dynamique qui me fait râler, du moins le fait que cette notion soit la seule mise en avant par des professionnels, comme si elle était la seule digne d’intérêt…
Les appareils photo numériques récents intègrent des capteurs dont la dynamique d’image est de plus en plus élevée. Et certains ne jurent que par celle-ci pour déterminer si un appareil photo est bon ou mauvais. À lire les échanges de ces « amateurs éclairés », j’ai l’impression de me retrouver dans une cour d’école, avec un débat qui se résume à celui qui aura « la plus grosse » dynamique. Peut-être parce la mesure de la dynamique reste mystérieuse et que c’est « frappant » dans l’imaginaire de certains. En oubliant trop souvent qu’un appareil photo est là pour prendre des photos !
Notions diverses pour comprendre
Les expressions « bouchée » ou « cramée », vous les avez très certainement déjà entendues à propos de vos photos (ou d’autres) qui manquent de détails ou qui paraissent brûlées. Comment cela peut-il être possible ? La chose qu’il convient de garder à l’esprit, c’est que si votre photo n’est pas similaire à ce que vous avez vu, cela ne vient pas forcément d’un mauvais réglage. Votre appareil photo a des limites et il convient de les connaître. Sans compter les limites du photographe lui-même !
Plage dynamique, c’est quoi ?
En simplifiant, on peut dire que la plage dynamique est l’échelle des valeurs séparant les parties les plus claires des parties les plus foncées de ce qui est perçu. Si on annonce 20 IL de dynamique, cela signifie que du point le plus sombre au point le plus clair, il y aura 20 niveaux de luminosité où vous aurez du détail.
Plus la dynamique du capteur (ou de la pellicule) est grande, plus il y aura de nuances et donc d’informations disponibles dans l’image.
Comment mesurer la dynamique ?
On peut s’adresser à un labo spécialisé dans ce type de mesure. Sinon il existe bien une méthode plus ou moins artisanale, que je n’ai jamais pratiqué (peut-être parce que je ne l’ai jamais vraiment comprise).
Elle consiste à effectuer 3 prises de vue d’une mire CMP Refcard White, dans certaines conditions. Le logiciel Raw Digger qui permet l’analyse des données RVB brutes contenues dans les fichiers RAW va permettre la récupération de diverses données afin de mener des calculs et des analyses.
- La première prise de vue sera largement surexposée (plus de 10 diaphragmes de surexposition). Elle permettra de déterminer le seuil de saturation des photosites.
- La deuxième prise de vue sera effectuée sur cette même mire, mais en suivant les indications de la cellule du boîtier. Elle sera donc à l’exposition nominale indiquée par la cellule soit Ev 0. Elle permettra de déterminer le calage de la cellule par rapport au seuil de saturation du capteur.
- La troisième prise de vue sera effectuée avec le bouchon de l’objectif et un temps d’exposition très court. Elle permettra d’obtenir un noir pur et donc de déterminer le niveau de bruit du capteur à la sensibilité sélectionnée.
dB, EV, IL, Pas, Stop…
Un Stop (ou Pas, EV, IL, Diaph puisqu’il s’agit de la même notion sous 5 termes différents) en photographie, c’est l’écart entre deux valeurs d’exposition. Augmenter ou diminuer revient à multiplier ou à diviser par deux la quantité de lumière arrivant sur le capteur.
Les constructeurs expriment souvent la dynamique des capteurs en dB. Une notion souvent inconnue dans le monde photographique où l’on parlera plus facilement de diaph, IL, Stop (ou EV ou Pas). Alors, si on vous donne une valeur en dB, il faut la convertir en EV (ou IL). L’opération consiste à divise la valeur dB par 6. Une dynamique de 120 dB revient à dire qu’elle est de 20 EV (ou 20 IL, ou 20 diaph !).
La plage dynamique d’un œil humain
N’étant pas médecin et encore moins ophtalmologiste, mes connaissances sont réduites en la matière. De ce que j’ai pu comprendre, l’œil humain ne dispose pas d’une large dynamique en lui-même (de l’ordre de 10 IL). Mais cet organe il dispose d’une grande faculté d’adaptation grâce :
- À la variation du diamètre de la pupille,
- À la variation de la sensibilité de la rétine,
- Au cerveau, capable de mélanger en temps réel des images plus sombres et d’autres plus claires afin de recréer ainsi un ensemble homogène.
En pratique, l’œil s’acclimate à une vitesse très rapide et nous disposons d’une plage dynamique étendue (High Dynamic Range) ! En cela l’œil humain est plus performant qu’un capteur numérique. Il est capable de percevoir des détails dans les tons clairs et dans les tons foncés là ou le capteur de l’appareil ne verra plus que du blanc ou du noir sans nuances. C’est ainsi qu’un capteur percevra comme étant un contre-jour ce que l’œil humain détectera comme étant simplement une scène très claire avec peu de contraste.
La course à la grande amplitude
Dans un environnement naturel, il existe d’importantes amplitudes lumineuses entre les différents éléments d’une scène. Quand on prend un cliché, il convient souvent de choisir pour quelle partie de l’image, claire ou sombre, on souhaite ajuster l’exposition. Même en utilisant la mesure automatique de l’exposition, le capteur de votre appareil (ou la pellicule) ne permettra pas d’enregistrer correctement les deux à la fois.
La compensation HDR
L’idée est d’étendre la plage dynamique d’une image en faisant du « bracketing d’exposition », c’est-à-dire en effectuant différents clichés d’une même scène avec des expositions différentes. En post-traitement, il conviendra d’utiliser un logiciel qui sera capable de fusionner ces clichés.
Ainsi, on pourra percevoir dans ces clichés fusionnés des détails dans les zones claires et les zones sombres qui ne seraient pas présents autrement. Mais ce process est long et fastidieux, sans compter que les mouvements sont interdits, sous peine d’obtenir des artefacts pénibles à voir dans l’image.
Pour la petite histoire, le bracketing d’exposition est une invention fort ancienne, qui date de 1850. C’est Gustave Le Gray (auteur de la première photographie officielle d’un chef de l’état français, Louis-Napoléon Bonaparte), qui fut le premier photographe à concevoir une image composée avec plusieurs valeurs d’expositions différentes (pour un paysage marin). Il voulait, ce faisant, contourner les limites des pellicules de l’époque. Déjà !
Attention, il convient de ne pas confondre HDR, Bracketing d’exposition et Tone Mapping
HDR : Le High Dynamic Range, soit en français grande gamme dynamique, regroupe un ensemble de techniques numériques permettant d’obtenir une grande plage dynamique dans une image.
Bracketing d’exposition : Technique permettant de prendre plusieurs images de la même scène, avec des réglages automatiques différents selon le mode (P, Av, Tv, Sv, M) et un écart d’EV préalablement paramétré (0,3 IL, 1IL, 3 IL, etc.). Généralement, il y a au moins 3 images, une « normale », une sous-exposée et une surexposée. Il faudra ensuite recombiner ces images en une seule, en extrayant le meilleur de chaque zone.
Tone Mapping : il s’agit d’une technique utilisée dans le traitement de l’image permettant de mettre en correspondance une palette de couleurs avec une autre, dans le but de convertir une image de grande gamme dynamique vers une image de dynamique plus restreinte.
Il est tout à fait possible de faire du bracketing d’exposition afin d’obtenir une image à large dynamique sans effectuer du Tone Mapping. Surtout que certains rendus peuvent être franchement mauvais.
Exemples de HDR avec Tone Mapping | Les résultats peuvent être plus ou moins réussis |
On l’a vu, les techniques HDR sont de bonnes alternatives, mais ont des inconvénients. Aussi, les ingénieurs en charge de développer les capteurs se sont lancés dans l’élargissement de cette plage dynamique.
Amélioration des capteurs
Les constructeurs ont réussi à améliorer les choses dans ce domaine, faisant progresser les capteurs APS-C d’environ 2IL. Si on en croit DxO Mark, cette dynamique est souvent supérieure à 13 (le K-10D sorti en 2006 avait une dynamique de 11,6 IL tandis que le K-3 II propose lui une dynamique de 13,6). On notera que, chez Pentax, les capteurs FF proposent une dynamique légèrement supérieure (14,6 pour le K-1 par exemple). Côté concurrence, Nikon semble faire partie des meilleurs dans ce domaine, tandis que Canon est un poil en retrait.
Attention, les seules informations constructeurs concernent la plage dynamique de sensibilité des capteurs autofocus (par exemple de -3 à 20 IL) qu’il ne faut pas confondre avec celle des capteurs « image ».
Pentax K-1 mark II | De -3 à 18IL, soit 22 EV (ISO 100) |
Pentax KP | De -3 à 18IL, soit 22 EV (ISO 100) |
Pentax K-70 | De -3 à 18IL, soit 22 EV (ISO 100) |
Nikon D-850 | De -4 à 20 IL, soit 25 EV (ISO 100) |
Nikon Z6 | De -4 à 17IL, soit 22 EV (ISO 100) |
Nikon Z7 | De -3 à 17IL, soit 21 EV (ISO 100) |
Canon 5 D Mark IV | De -3 à 18IL, soit 22 EV (ISO 100) |
Canon EOS R | De -6 à 18IL, soit 25 EV (ISO 100) |
Sony a9 | De -3 à 20IL, soit 24 EV (ISO 100) |
Malgré tout, on se rend compte que tous les reflex ou hybrides modernes proposent des plages dynamiques étendues, largement suffisantes pour l’immense majorité des besoins. Du moins quand on utilise le RAW. L’exemple ci-dessous le montre clairement. Entre le « brut » capteur et le rendu final, on s’aperçoit que le cliché contient beaucoup plus d’informations que l’on pourrait le supposer au départ. Il aura fallu moins de 30 s pour obtenir la photo finale en partant de la photo d’origine.


Si les capteurs ont fait des progrès, cela n’a pas été le seul domaine. On a déjà vu un même capteur, utilisé dans des boîtiers de marque différente, proposer des résultats de plages dynamiques différents. Cela tient aux puces électroniques en charge de la conversion de la dynamique perçue par le capteur, en données numériques enregistrées dans le fichier RAW de l’appareil. Ces puces, qui travaillent avec une précision de 8, 10, 12, 14 ou 16 bits, sont plus ou moins efficaces. Or plus la précision est importante et mieux le logiciel est écrit, meilleure sera la qualité de la dynamique restituée.
Les obstacles à la large dynamique
Malgré les améliorations, il en existe toujours :
- La taille des capteurs. En règle générale, plus les capteurs sont petits et plus leur dynamique est réduite. Mais là encore les progrès techniques ont été importants et les prouesses sont réelles.
- De l’influence de la sensibilité. La plage dynamique dépend de la sensibilité utilisée. Plus on monte en ISO, plus la dynamique baisse. La montée en ISO s’obtient par une amplification de la lumière. Des basses lumières, mais aussi des hautes lumières. Ces dernières vont dépasser la valeur maximale permise par le capteur et donc être perdues. Mais si on perd des hautes lumières, malheureusement, on ne gagne pas en basses lumières, entraînant une dynamique globale plus faible.
- De plus, la montée en ISO provoque du bruit, lequel va limiter aussi la dynamique. De manière globale, il faut retenir qu’à chaque fois qu’on multiplie par 2 les ISO, on perd 1IL de plage dynamique.
De l’exploitation de la large plage dynamique
À la prise de vue
Je vais ici enfoncer des portes ouvertes. Mais si vous souhaitez pouvoir profiter des capacités de votre boîtier, et préserver autant que possible la dynamique, voici trois conseils :
- Utilisez les prises de vue en RAW. Le JPEG est à proscrire autant que possible. Parce que dernier est codé sur 8 bits tandis que le RAW est codé, lui, sur 12, 14 ou 16 bits. Ce qui veut dire qu’il y a beaucoup plus d’informations disponibles. Et si vous ne me croyez pas, regarder le poids d’un fichier JPEG et celui d’un fichier RAW. La différence a bien une explication…
- Utilisez le plus possible les sensibilités 100-200 ISO. Plus la sensibilité sera basse, plus il y aura d’informations présentes.
- Privilégier de bonnes optiques. S’il y a un conseil que je donne volontiers, c’est celui-là ! Il faut investir dans des optiques de qualité. Le gain sera nettement plus important que d’investir dans l’appareil ayant la meilleure plage dynamique au moment X (celui de l’achat).
En PT RAW
Exploiter la dynamique en Post-Traitement n’est pas très compliqué. Si on respecte les règles de la prise de vue, les logiciels de PT RAW permettent de régler facilement l’exposition, mais également les hautes lumières et les ombres. On pourra ainsi jouer sur les curseurs pour équilibrer une photographie.
Outils de Adobe Lightroom Classic CC | Outils de DxO PhotoLab 2 | Outils de Luminar 2019 |
On notera que DxO PhoLab propose un outil plus évolué, le DxO Smart Lighting qui se montre un peu plus performant dans l’optimisation de la plage dynamique que les outils Hautes Lumières/Ombre des concurrents.
N’oubliez pas d’utiliser le pinceau de retouche localisée, car les curseurs influent sur toute l’image, même sur les parties que l’on souhaite préserver ! La retouche localisée permet, elle, de ne traiter que les zones sous ou surexposées.
Un point de vue, le mien
« Photographier » veut dire peindre avec la lumière.
À titre personnel, la dynamique d’un capteur n’a jamais été ma priorité lors de mon choix d’appareil. Peut-être parce que j’ai appris la photo avec les pellicules argentiques et que cette notion était plus anecdotique. En effet, la plupart des pellicules offraient alors une plage dynamique allant de 6 à 12 IL pour les meilleures ! Et on apprenait à exploiter cette plage. De plus, éclaircir exagérément les ombres n’est pas une bonne idée. Tous les détails d’une photo ne doivent pas forcément être visibles. Il me paraît important que certaines parties d’une photo puissent rester dans l’ombre, suggérées à l’imaginaire des lecteurs.


Il vaut mieux soigner sa prise de vue dès le début. Ainsi, en exposant correctement, il n’y aura pas besoin de trop éclaircir les ombres…
Aujourd’hui, n’importe quel capteur APS-C, MF, Full Frame voire même 4/3 possède suffisamment de dynamique pour me permettre de faire les clichés que je souhaite faire. Il y a longtemps que je ne m’interroge plus sur des clichés que je pourrais rater avec un capteur soi-disant « moins performant » que celui dont je dispose actuellement. Cette obsession de la plage dynamique me semble être une aberration. Une photo doit être contrastée, correctement contrastée.
Mais il est plus facile de se reposer sur les prouesses techniques et l’IA des boîtiers que de penser « photo ». Un autre débat…
crédits photo & illustrations : © fyve – PT Raw dans le cadre de l’article