Doit-on idéaliser la pellicule argentique ?

J’avais écrit l’année dernière un article sur le retour en grâce de l’argentique. Sauf que certains ont été jusqu’à idéaliser la pellicule argentique. Après une discussion avec un acharné de la pellicule, pour qui le numérique, c’est de « la merde », il m’a semblé intéressant de revenir sur ce sujet. L’idée est d’apporter ses arguments et mon point de vue tout personnel sur ceux qui trouve que « la pellicule argentique, y’a pas eu mieux ». Ce côté « retour à la terre » de certains me gêne, surtout quand on véhicule l’idée selon laquelle si on prenait moins de photos, on s’appliquait davantage.

 

Je ne sais pas pourquoi le titre est interrogatif. Il aurait dû être impératif et s’intituler « Arrêtez d’idéaliser la pellicule argentique ». Voyons un peu les arguments qui m’ont été avancés pour idéaliser la pellicule argentique et justifier le refus du numérique.

Idéaliser la pellicule argentique, premier argument : LA photo

En faisant des photos avec une pellicule argentique, on va prendre moins de photo certes, mais cela permettra de s’appliquer pour prendre LA photo. C’est à la fois faux… et faux.

Premièrement, si l’amateur prenait moins de photos, c’est pour des raisons de coûts essentiellement ! Effectuer des quantités astronomiques de photos, cela revenait à voir son budget rapidement exploser. Faire développer dans un labo une pellicule avait un coût loin d’être négligeable. Un coût d’autant plus grand que l’on s’adressait à un labo de qualité. Certes, il y avait les mini labs, mais le résultat était différent selon que votre pellicule était développée avec des liquides neufs ou fortement utilisés (réutilisation très importante des produits de développement afin d’économiser sur les coûts). Quant à ceux qui développaient eux-mêmes, ils se souviennent des galères pour avoir la bonne pièce (le « chéri-e, j’ai besoin de la salle de bain »), pour obtenir le bon résultat dès le premier coup sans être obligés de retirer, car on a commis une petite erreur et qu’elle a été fixée, ou encore s’apercevoir au dernier moment qu’on manque de produits (révélateur, fixateur, papiers, etc.). De plus, devant l’impossibilité de vérifier ce que j’avais pris, très souvent je doublais la prise de vue, afin d’être sûr. 

Deuxièmement, les professionnels. Les fameux « grands » photographes. Comme ces derniers avaient très souvent leur propre labo, les frais d’exploitation ou des sponsors, ils partaient avec des dizaines de pellicules (voir des centaines), sans préoccupation du coût. Et ils en prenaient des photos. Ce n’étaient pas une ou deux, mais parfois tout un rouleau (ou plus) sur un même sujet. Pour avoir vu de nombreuses planches contacts argentiques de maîtres comme Cartier-Bresson, Salgado, ou encore celles de celui qui m’a donné le goût de la photo, Roland Bénard, je sais qu’il n’en est rien. Sur un même sujet, ils prenaient tous de nombreux clichés. Simplement, ils étaient limités par le nombre de pellicules, malgré le fait qu’ils partaient avec un nombre important. 

Planche contact Lucien Clergue
Planche contact Lucien Clergue
Planche contact Diane Arbus
Planche contact Diane Arbus
Idéaliser la pellicule argentique, deuxième argument : l’instant décisif

Ah, ce fameux instant décisif tant vanté. Le Graal de tout photographe. Et évidemment seul l’argentique pourra l’apporter. Il est d’ailleurs complémentaire au premier argument.

Avez-vous vu l’exposition de Lucien Glergue au Grand Palais ? Cela devait être en 2016, je crois. En la visitant, je me suis remémoré les paroles de celui qui m’a donné les rudiments de la photo. Il me disait que l’instant décisif que tout bon photographe devrait « voir » avant que cela se produise afin de shooter au bon moment, c’était une foutaise, que c’était impossible ! Une position qui peut paraître radicale, mais qui s’explique par le simple fait que, même si on est intuitif, il est impossible de prévoir ce qui va se passer exactement, au pouillième de seconde près. Et donc déclencher juste avant. 

Au contraire, c’est en prenant de multiples photos d’un même sujet, qu’après coup, devant sa planche contact (argentique ou numérique), on pouvoir trouver (ou pas) la photo avec ce fameux instant décisif. Voire même plusieurs, car plus on photographie, plus on exploite les possibilités offertes par le sujet, le lieu, le moment. Et puis, quand un lieu se prête, pourquoi se contenter de faire qu’une photo ? On ne sait jamais ce qu’il va se passer la seconde d’après.

Par contre, ce qui est vrai, c’est qu’avec l’expérience, on arrive à mieux appréhender ce qui pourrait arriver et être prêt à déclencher. Comme si on développait une sorte de 5ème sens. Et qui fait qu’on prendra un peu moins de photo.

Idéaliser la pellicule argentique, troisième argument : la magie de l’argentique

Parce que c’est la pellicule et que le numérique c’est banal. Quelque chose qu’il faut laisser à ceux qui produisent des images ordinaires. Quand on photographie en argentique, on est Spielberg et Tarantino réunis, parce qu’eux ont compris que l’argentique, c’était le nec le plus ultra. 

Face à ce genre d’arguments, il n’y a rien à répondre tellement la réflexion est profonde.

Idéaliser la pellicule argentique, quatrième argument : le numérique est en perte de vitesse

Avec comme preuve, le retour du vynil au détriment des CD et autres fichiers numérisés. Alors c’est vrai, il y a un certain revival qui fait que le disque analogique est à nouveau fabriqué. Et c’est vrai que le son est différent de celui qu’on entend au travers d’un fichier numérique. Il est souvent plus ample, plus rond, plus chaud, moins clinique. Exactement comme pour la pellicule argentique en fait. Ce parallèle est très bon.

Par contre, de là à en en déduire que l’argentique fait un retour en force et, comme c’est le nec le plus ultra, qu’il dominera à nouveau, c’est un pas que je ne franchirais pas. Ils sont différents. Complémentaires. Je souhaite vraiment que le numérique ne remplace pas totalement l’argentique. Ce dernier doit persister, même si c’est un marché de niche.

 

Je suis très content qu’on produise de nouveau des pellicules et que la photo argentique continue à exister. Mais ce n’est pas pour cela que je vais oublier les produits chimiques (même s’ils sont plus écologiques qu’auparavant), le temps passé en chambre noire et les erreurs commises en développant. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ce revival de l’argentique est surtout orienté noir et blanc, car plus simple à développer. Une pellicule couleur, c’est souvent plus complexe.

En fait, la seule chose que je regrette réellement dans l’argentique, c’est ce grain inimitable malgré les progrès numériques et les logiciels dédiés. Chaque modèle de pellicule avait et a ses avantages et inconvénients. Rehaussés par la chimie jamais identique des grains. Ce côté aléatoire, DxO Film Pack ou La Nik Collection n’ont jamais été en mesure (hélas) de reproduire complètement. A mon grand regret. Néanmoins, je suis content que ces logiciels existent, car je les utilise souvent, surtout pour mes noirs et blanc.

En conclusion, arrêtons d’idéaliser la pellicule argentique sous de mauvais prétextes. Ne lâchons pas un bon sujet sous le prétexte que nous avons déjà pris une photo et qu’elle est certainement excellente. Au contraire, cherchons de nouveaux angles et multiplions les points de vue et photos. Et comme la contrainte financière est évacuée par le numérique, ne nous en privons pas.

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