Régulièrement, j’entends, je lis ou je vois des choses qui m’agacent. Aujourd’hui, c’est l’idée selon laquelle on n’est pas un vrai photographe si on ne shoote pas en mode Manuel ! Comment peut-on dire, écrire ou penser une telle ânerie ? Cela dépasse parfois l’entendement…
Après mon petit pamphlet anti mode auto, voici son pendant pour le mode Manuel. J’ai comme l’impression que, pour de nombreux photographes, ce mode est le saint Graal de la prise de vue. Que, puisqu’on maîtrise tout, on va atteindre des niveaux inégalés en matière de créativité ! Il faut revenir sur terre, car c’est faux !
Trop nombreux sont ceux que je vois travailler en manuel, persuadés que c’est le mieux. Et bien non. Il faut arriver à se le mettre dans le crâne, le mode Manuel n’est pas la panacée. Loin de là. On peut presque tout faire avec les modes « Expert », et souvent en mieux. De plus, résumer la prise de vue au choix du mode manuel me paraît largement aberrant, car cela dénie tout ce qui a attrait à la composition et tout ce qui construit une photo.
Le mode Manuel c’est bien de connaître
À mon sens, dans le processus d’apprentissage, on doit passer par la case « mode manuel ». Et j’ai bien dit passer, pas s’y attarder. Il y a une grosse différence.
Tout simplement parce que ce mode permet de comprendre certains aspects de la prise de vue. Surtout tout ce qui concerne les interactions entre la vitesse, l’ouverture et les ISOs. Toute modification de l’un influe sur les 2 autres. Ainsi, si on diminue uniquement l’ouverture, en passant de f/4 à f/11 par exemple, le diaphragme va se fermer. Il y aura alors moins de lumière qui arrivera sur le capteur et la photo sera plus sombre. Pour remédier, soit on réduit la vitesse afin de compenser la réduction du flux lumineux par plus de temps, soit on augmente les ISOs. Ou très souvent les deux. Dans le premier cas, le risque de flou de bouger s’élève. Dans le deuxième cas, c’est une menace accrue de bruit sur l’image finale. Le troisième est la voie du compromis, on fait un peu de tout.
Le mode « Manuel » (le M de la molette) est le seul mode non automatique, celui où vous allez tout choisir, ISO, Vitesse et Ouverture, jusqu’à obtenir l’exposition souhaitée. Une fois ces interactions acquises, il faut arrêter d’utiliser le mode manuel.
Attention, si votre appareil photo ne dispose que d’une seule molette de contrôle, utiliser le mode Manuel va vite devenir un vrai calvaire. Car pour maîtriser 3 paramètres, ll vaut mieux au moins 2 systèmes de contrôle (les ISO étant gouvernées via une des 2 galets et l’appui simultané de la touche ISO). Sans cela, vous allez perdre un temps fou à configurer l’unique molette à chaque prise de vue.
Pentax proposant systématiquement à minima 2 galets de réglages (souvent réglés sur Vitesse et Ouverture), l’usage de ce mode en est facilité. L’ajustement de l’ISO est, quant à lui, confié à une combinaison touche ISO + molette. Récemment, une troisième molette de réglage a fait son apparition (K-1, K-1 mark II, KP et le successeur du K-3 II).
Le mode manuel, c’est la méthode préférée des professionnels
S’il existe bien une idée reçue, c’est celle-là. Elle pourrit la vie de nombreux photographes qui se croient obligés de perdurer dans le Manuel, sous le prétexte que c’était LE mode utilisé par les pros avant l’arrivée des modes « Expert ». STOP !
Ce qui est vrai et vérifiable, c’est qu’avant l’apparition des modes « Expert », le mode Manuel était grandement utilisé. Et quand j’ai appris les rudiments de la photographie, c’était avec lui. Mais, s’il était autant employé, c’était non pas pour des raisons de créativité, mais parce que c’était le seul disponible. Il n’y avait pas d’alternative, aucun moyen de faire autrement. Il y avait donc une obligation de l’utiliser. C’était donc un mode par défaut et incontournable.
Puis, les matériels ont évolué, fort heureusement. Quand sont apparus les modes experts (P, A et S) à la fin des années 70, nombreux ont été les professionnels à adopter les automatismes proposés. Surtout par ceux qui s’occupaient de reportages, sport et autre. Croire qu’ils s’en sont privés, c’est faire preuve d’une grande naïveté.
Le mode Manuel a quelques utilités néanmoins. Soit pour certaines pratiques, soit parce que certains films argentiques nécessitaient une telle précision dans l’exposition, qu’il convenait de contrôler les moindres détails pour réussir son cliché.
Attention à l’idée reçue selon laquelle l’exposition serait meilleure en mode Manuel. C’est faux. La qualité de la mesure de la lumière dépend uniquement du posemètre intégré à votre appareil et du mode de mesure que vous avez sélectionné, pas du mode d’exposition. Votre boîtier mesurera la lumière de la même façon que l’on soit en Av, Tav ou M. Avec la même précision !
Le mode Tav est spécifique à Pentax. Le photographe décide de l’ouverture et de la vitesse, laissant le boîtier s’occuper des ISOs. Lequel pourra être contraint si on borne la plage des ISOs possible (par exemple 100-3200). D’où un grand confort d’utilisation.
Badaboum, le numérique est passé par là
Beaucoup de choses ont changé avec le numérique. La première étant la disparition de la pellicule (choisit souvent en fonction de ses performances ISO) au profit d’un capteur électronique. Ce dernier permet de capturer plus de détails (car plus de pixels en comparaison aux nombres de sels d’argent). Mais c’est surtout le fait qu’on peut utiliser des fichiers de données d’images qui contiennent un nombre important d’informations. Lesquels permettront d’ajuster finement en phase de post-traitement. Au final, on peut travailler en Priorité Ouverture et / ou Vitesse avec bien moins de risques d’erreur qu’en Manuel.
Sans compter que l’on peut visualiser le résultat en temps réel. Ce qui permet de recommencer la photo si nécessaire (et si les circonstances le permettent, évidemment).
Est-on plus créatif en mode manuel ?
Une idée fausse de plus, largement répandue dans certains milieux. C’est même assez incompréhensible, car l’on peut tout autant choisir les paramètres de l’exposition en mode Priorité Ouverture (Av) ou Priorité Vitesse (Tv) ou Priorité Ouverture & Vitesse (Tav).
Le mode Manuel propose quelque chose de plus que ces modes, car il permet de caler une valeur d’exposition. Non seulement vous allez fixer finement la valeur de l’ouverture et celle de la vitesse, mais vous allez aussi fixer celle des ISOs. Ce qui va nécessiter de votre part une attention de tous les instants.
Prenons un exemple. Vous êtes en train de photographier un château. Il y a bien quelques nuages dans le ciel, mais aucun n’est devant le soleil. Coup de bol pour vous, au moment de la prise de vue, le soleil est dans votre dos, l’éclairage est donc optimal pour vos clichés, que vous faites à 1/200 s, f/11 et ISO 100. Mais au moment de déclencher, de gros nuages noirs s’installent devant le soleil. La lumière baisse sensiblement. Si vous ne rectifiez pas vos réglages, vous obtiendrez une image sous-exposée.
Avec les modes Av, Tv ou Tav, l’appareil aurait modifié l’exposition automatiquement et les images auraient été correctement exposées. Comme pour la photo ci-dessus.
Moralité, le mode Manuel ne pardonne pas. Il faut être (très) concentré et rapide. Il est peu adapté à de nombreuses pratiques, comme la photo de reportage, de sport, animalière et tous les genres nécessitant de la réactivité. Mais en aucun cas, il ne procure ou n’enlève de la créativité.
Dans quels cas faut-il privilégier le mode manuel ?
Le mode Manuel n’est qu’un mode parmi d’autres. On doit l’utiliser s’il apporte un plus. Je n’ai trouvé ce plus que dans 3 situations. Il peut en exister d’autres, ce sera selon les photographes.
En studio
C’est sans la pratique photo pour laquelle on ne doit pas se poser la question, tout simplement parce que comme on contrôle totalement l’environnement lumineux, il suffit de prévoir les réglages et on n’y touche plus. La plupart du temps, en studio, la vitesse est comprise entre 1/125 s et 1/200 s, tandis que l’ouverture est comprise entre f/9 et f/13, rarement f/16. Et les ISO ? Ils sont calés à 100. Pour la quantité de lumière nécessaire à l’équilibre des clichés, le photographe va déployer les flashs et définir la quantité de lumière envoyée.
Pour y arriver, il utilisera un flashmètre ou il effectuera quelques prises de vue avec contrôle de l’exposition via l’histogramme. En numérique, tant qu’on reste à 3 sources lumineuses (ou moins), il est assez facile de régler la quantité de lumière.
À noter que cette façon de procéder vaut aussi pour l’utilisation de flash cobra en extérieur.
Dans des endroits sombres
Il est parfois nécessaire de monter en ISO. Par exemple dans une grotte.
SI on veut avoir assez de lumière, il faut dans ces cas monter les ISO tout en conservant une vitesse suffisamment rapide pour que l’image soit nette (on bénit ici la stabilisation qui permet de gagner 3 à 5 IL) et une ouverture évitant trop de flou de bokeh. Le seul mode permettant de trouver le bon équilibre est ici le M.
Les poses longues
Dès qu’on veut effectuer des photos en pose longue, soit pour des photos de nuit ou des photos avec des filtres (dégradés ou ND), le mode Manuel (ou le mode B) sont impératifs.
Existe-t-il d’autres pratiques
Pour certains, le mode Manuel doit être privilégié pour les photos de type panorama par assemblage. Il est possible que l’on obtienne de meilleurs résultats en exposant les différentes parties de votre panoramique en mode Manuel. Pour avoir testé, j’estime que le mode Tav se prête très bien à ce type de prise de vue et que le mode Manuel n’apporte pas grand-chose.
Même chose pour les photos en bracketting.
Si on doit retourner aux sources de la photographie, car c’est « la seule façon d’être vraiment créatif et comprendre la life », alors il convient d’abandonner l’AF ou la sensibilité (et oui, la gestion des ISO, c’est récent. Le numérique a élargi les possibilités. C’est comme pour la voiture. Le passage des vitesses à l’ancienne, avec la pédale d’embrayage, c’est la pureté de la conduite d’avant. C’est pourquoi les boîtes robotisées envahissent tout. Y compris la Formule 1 ! Allez demander à Lewis Hamilton ou Charles Leclerc si cela les intéressent, sous prétexte d’authenticité !
L’important, c’est de faire de la photo. Et ce qui va compter à la fin, c’est le résultat obtenu. Ce que le cliché va raconter. Sans compter le plaisir qu’on a eu à réaliser ses images. Prenez donc une bonne résolution en cette fin 2019 et dites au revoir au mode manuel.