Quand on est photographe, simple amateur ou plus, peu importe, montrer ses photos fait partie de l’ordre des choses. Si certains ne passent jamais à l’acte, d’autres le font au travers d’internet. Il est facile de se créer une galerie virtuelle sur des sites dédiés (Instagram, Flickr…), généralistes (forum photo, Facebook…) ou personnels avec son propre nom de domaine et un outillage « maison » (WordPress, ZenPhoto, Piwigo, JAlbum, Lr, autres).
Et puis, il y a une petite minorité qui aimerait bien exposer sur les cimaises d’une galerie, les murs d’un commerce ou d’un autre lieu public. Soit pour se retrouver entre amis, autour des photos et d’un verre, soit pour voir si on peut tenter une carrière. Malheureusement, le photographe se retrouve face à de vrais obstacles capables de le dérouter, le faire douter de la pertinence de son idée, voire de le dégoûter et arrêter en place toutes démarches.
Extrêmement rares sont en effet les galeries et lieux qui sont prêts à accueillir de parfaits inconnus. Si vous êtes un nom, évidemment les choses seront différentes. Mais pour les autres, les portes sont souvent closes. Cela peut paraître logique au vu des sollicitations qu’ils doivent recevoir, mais pour une personne qui souhaite exposer, le parcours sera ardu.
« Une exposition ? Depuis de nombreux mois, j’y pense. »
Peut-être que cette phrase vous vous la dites régulièrement. Comme un leitmotiv, un mantra. Vous n’êtes pas seul. D’autres aussi ont la même envie. Et si certains décident de tenter leur chance, d’autres sont découragés par avance.
Ce qui suit n’est pas un mode opératoire absolu qui vous permettra de décrocher une exposition. Il s’agit plutôt d’une série de réflexions, non exhaustives, de l’auteur sur ce milieu particulier. Il convient aussi de garder en tête que l’approche « galerie » est beaucoup plus contraignante en termes de choix que les autres lieux. Dès lors, pourquoi ne pas prendre de bonnes habitudes dès le départ ?
Première étape : une exposition, on commence par quoi ?
Par le thème de l’exposition ou le lieu ? Cette question métaphysique est beaucoup plus essentielle que l’on croit. Tout simplement parce qu’un lieu, c’est compliqué à obtenir et qu’une fois qu’on a un lieu et une date, une vraie course contre la montre va s’engager.
Cette course, il faudra la traiter comme un vrai projet, avec un planning, des taches et chemins critiques.
Beaucoup pensent avoir le temps de choisir le thème après avoir trouvé le lieu et qu’il vaut mieux concentrer tous ses efforts sur ce but. Il convient de penser le contraire.
Réaliser des séries en amont
Il est en effet préférable d’effectuer vos recherches de lieu avec une à trois séries de photos déjà réalisées. Par série, il faut comprendre des photos présentant une unité de sujet, de style, de formes. Il faut une signature, afin que tous, du professionnel au simple amateur, puissent sentir facilement l’unité.
Prenez donc votre temps pour réfléchir aux thèmes possibles et réalisez une à trois séries. C’est après que vous pourrez solliciter les lieux. En effet, tout responsable qui vous verra arriver en présentant juste une idée, un concept ou quelques photos ne vous prendra pas au sérieux.
Si vous choisissez comme lieu une galerie, gardez à l’esprit que les galéristes ont besoin d’évaluer vos travaux afin d’en deviner l’exploitabilité financière. Si vous arrivez avec seulement 3 ou 4 photos, il ne voudra pas s’impliquer tant qu’il n’aura pas vu l’intégralité de la série. Car la question sera, pour lui, de savoir si vous serez capable d’en réaliser de la même veine. Et si vous êtes « bankable » (cet aspect n’est pas si accessoire que cela !) !
Combien d’images ?
Une série, c’est plus de 20 clichés. Il conviendra de se renseigner, avant d’aller démarcher un lieu, de la capacité d’accueil de celui-ci. Afin de se présenter avec plus de photos que le lieu ne peut en accueillir. De l’ordre d’une dizaine de plus que le nombre d’accrochages possibles. Le choix sera souvent effectué par le responsable (certains lieux peuvent vous laisser le choix final, mais dans les galeries, c’est souvent le responsable qui le fera).
Si, dans l’absolu, il est possible de faire des prises de vue complémentaires après accord de l’exposition, il conviendra de résister à cette tentation. En effet, dans le cadre d’une expo dans un restaurant, cela n’aura que des impacts faibles. Mais dans le cadre d’une exposition dans une galerie, le responsable aura fait le choix de parier sur vous et sur les photos qu’il aura choisies. Venir alors en proposer de nouvelles en remplacement est donc à exclure.
Deuxième étape : la recherche du lieu
Le portfolio
Il s’agit là d’un « accessoire » complètement indispensable. Il peut-être au format électronique (avec une tablette de 10″ minimum), mais ce n’est guère conseillé. En effet, la qualité d’un écran reste assez faible pour le rendu photographique. De plus, de nombreux responsables pourraient estimer que vous manquez d’investissement dans votre projet en ne réalisant pas un portfolio papier.
Optez donc pour cette forme plus traditionnelle. Imprimez toutes les photos de votre (vos) série(s) au format A4. Il vous suffira d’expliquer, lors de la présentation, qu’il s’agit de tirages de présentation et non de tirages d’exposition.
Quel type de lieu d’exposition choisir ?
Vous avez votre ou vos thèmes, les séries associées et le portfolio, alors vous avez tout ce qui est nécessaire pour démarcher votre lieu. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, il faut savoir que sans lieu, il n’y aura pas d’exposition. Si vous voulez réaliser votre envie d’exposition, il n’y a pas d’autres choix que de trouver un lieu qui permettra une mise en avant de vos travaux.
Ne croyez pas qu’une personne providentielle va intervenir et vous proposer de tout faire à votre place et offrir « THE » emplacement du siècle, cela peut arriver, mais c’est assez exceptionnel. À moins de s’appeler Jean-Marie Bannier et qu’une Liliane B… vous trouve…
Il y a des lieux et des villes qui sont plus faciles à investir que d’autres. En province par exemple, si les lieux possibles d’exposition sont plus restreints en nombre, ils sont nettement moins démarchés. Et comme il y a moins de demandes, vous aurez plus de chances d’être retenu.
Commencer par les plus simples
Les lieux les plus « faciles » à investir sont les bars, brasseries et restaurants. Les plus difficiles, les festivals et les galeries. Pour beaucoup, il faudra commencer petit pour espérer avoir les honneurs d’une galerie ou d’un festival.
Le plus simple sera donc les bars et restaurants. Parce que, pour ces derniers, une exposition est une attraction supplémentaire à peu de frais. Évitez tout de même les friteries, pizzerias et autres cuisines rapides sur le pouce. Visez plutôt des endroits bien fréquentés, des brasseries, bistrots, caves à vin avec resto, bars branchés. Aidez-vous au besoin de sites comme la Fourchette pour dénicher votre endroit. Ne pas oublier que les responsables de restaurant n’ont pas forcément du temps à vous accorder. Avec eux, il faudra être rapide et convaincant.
Une galerie
Ce sera le plus difficile, sauf si vous en louez une. Dans ce cas, il faudra un budget plus que solide ; cela revient à se faire éditer à compte d’auteur. Quant aux festivals et galeries des mairies et autres lieux publics, il vous faudra convaincre les responsables, sur des critères divers et variés (et pas forcément photographiques). Ce qui, sans carte de visite (comprendre ici un CV photo indiquant déjà des expos, des prix, etc.) et/ou relations, sera compliqué.
Quelques mots sur les galeries. Choisir une galerie, cela passera, sauf cas exceptionnel, par un contrat. Prenez donc bien soin de choisir votre partenaire. Le contrat passé devra être clair et précis (identification claire de vos besoins) sur tous les points, y compris la rémunération (sur la vente des œuvres ou des produits dérivés, sur la location de la galerie par exemple) ou la prise en charge des divers frais (transport, impression, publicité, organisation du vernissage, etc.).
Vous trouverez les galeries grâce à internet. Ciblez-les, allez les visiter et ne retenez que celles qui vous correspondent. Ensuite, prenez contact avec les responsables. Il faudra vous vendre, vous, vos photos et votre réseau d’amis ou de clients (si vous en avez déjà !).
Avantages et inconvénients des lieux
On s’aperçoit aussi, très rapidement, que chaque type de lieu d’exposition a ses avantages et ses inconvénients. Un site facilement accessible n’aura que peu de possibilités en termes de vente. N’espérez pas y vendre vos clichés. Par contre, il ne vous coûtera pas grand-chose. À l’inverse, une galerie engendrera des frais financiers parfois importants, mais les retombées pourront être plus importantes en termes de notoriété et de vente.
[table id=10/]Il faudra faire preuve de beaucoup de persévérance, tenter sa chance de nombreuses fois avant de pouvoir peut-être obtenir le Graal. Les déceptions seront nombreuses et il vous faudra persévérer. C’est alors qu’on se rend compte…
Troisième étape : Se faire connaître
On oublie souvent qu’être connu facilite les choses, met de l’huile dans les rouages. On réalise tardivement que la reconnaissance commence en amont de toutes démarches. Pour y parvenir, il vous faudra :
- Constituer un ou plusieurs books physiques ;
- Créer ses books et galeries virtuels, où l’on pourra voir votre travail ; mais soyez conscient que les responsables ne passent pas leur temps sur internet ! Il n’empêche qu’il est préférable d’avoir une vitrine sur internet ;
- Utiliser les réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, Flickr, Pinterest et consorts ;
- Participer à des concours ;
- Se faire des cartes de visite que l’on ne manquera pas de distribuer autour de soi ;
- Fréquenter régulièrement des expos photo ;
- Participer à des concours de magazines ;
exemple de portfolio virtuel
Se faire connaître est très important. Une galerie n’invitera pas un inconnu, surtout si elle n’a jamais vu son travail avant. C’est à vous de faire tout ce qui est nécessaire pour montrer votre travail. Cette « reconnaissance » va prendre beaucoup de temps. Il s’agit d’un travail de longue haleine, qui demande beaucoup d’investissements en temps. Bien que directement cela n’engendre que peu de vrais résultats, ce travail de reconnaissance vous servira toujours à un moment ou un autre.
Quatrième étape : Préparer l’exposition
Maintenant que l’on dispose d’un lieu, d’une date, d’une durée et du thème, il faut passer aux choses concrètes. Il va falloir se transformer en chef de projet, avec un planning, des jalons (étapes obligatoires sans lesquelles l’expo ne pourrait avoir lieu) et un budget. Car oui, une exposition va coûter de l’argent. Si vous avez un sponsor, tant mieux. Sinon, il faudra puiser dans votre poche !
Quelques cases de ce planning
Comme vu précédemment, vos photos sont déjà choisies. Le planning débute donc quand le lieu a été trouvé et qu’on vous fait confiance. S’engage alors une course contre la montre, car les aléas possibles sont nombreux, mais la date de début, elle, ne bougera pas.
- Le choix des images, leur nombre et les dimensions de chacune d’entre elles sont réalisés avec ou par le responsable du lieu de l’exposition.
- Le cas échéant, visiter soigneusement le lieu. Repérer les endroits où vos photos pourront être accrochées, noter les dimensions qui conviennent s’il y en a plusieurs ;
- Commander des tirages. Ces tirages peuvent être sur papier, mais également toile, alu (dibond), plexiglas ou composite (carton plume)… Sachant que certains types de tirage coûteront nettement plus cher que d’autres, mais peuvent se passer de cadres. Il faudra adapter vos tirages au lieu et au public visé. En cas de cadre, il conviendra de savoir si ce sera avec ou sans marie-louise (cadre intermédiaire placé entre la photo et le cadre). Tous ces choix ont un impact sur le budget.
- Commander les cadres/supports ;
- Montage & vérification ;
- Communication à vos partenaires (reporting) ;
- Communication vis-à-vis du public : flyers, affiches, cartes postales publicitaires, invitations, Facebook, radio, dossier de presse, les sites d’infos (des mairies, des régions ou des sites spécialisés dans l’annonce des évènements comme evous, visitparisregion (il doit exister l’équivalent pour votre ville et région), etc. N’hésitez pas à utiliser les ressources du Web et les canaux d’informations comme les blogs photo ! Faites une liste de tout ce que vous aurez à faire pour votre communication et intégrez-la dans votre planning !
- Accrochage de l’exposition proprement dite.
Élaborer le planning
Le planning justement. Il faudra toujours le concevoir à rebours. Cela veut dire qu’on commence par la date de l’expo qui est la date qu’on ne pourra pas déplacer. Ensuite, on va y placer, au fur et à mesure, toutes les tâches et tous les jalons. C’est ce qu’on appelle la création d’une chronologie : des dates, des temps de réalisation, des dépendances…
Exemple de planning
Le conseil : prévoir des marges pour les étapes clés. Personne n’est à l’abri d’un problème. Par exemple, si votre prestataire ne peut vous fournir à la date voulue les tirages, vous serez obligé de décaler votre planning. Or la date du début de votre expo, elle, ne pourra pas être décalée !
Certains points n’ont pas encore été abordés
Et pourtant, ils sont encore nombreux, comme :
- Allez-vous vendre vos photos durant l’exposition ? Si oui, à quel prix ?
- Allez-vous réaliser un livret d’exposition ? Vente ou distribution libres ? À quel coût et en combien de temps ? Ce sera dommage si votre livret était disponible après l’expo !
- Qui allez-vous inviter au vernissage ? Si vos amis sont en tête de votre liste à coup sûr, il existe bien d’autres personnes dont la présence serait plus intéressante. Cela va de l’élu local aux collectionneurs d’art en passant par les dignitaires du coin, vos relations et la presse. Sans oublier le ou les sponsors, les critiques, etc.
- Avez-vous prévu le temps pour emballer vos travaux et les emmener au lieu d’exposition ? Si votre expo se déroule à Nantes et que vous venez de Paris, il faudra bien y déplacer les photos !
- Les photos seront-elles juste plaquées contre un mur ou bien accompagnées d’un petit texte ? Si oui, il faudra du temps pour rédiger. Si vous utilisez un ou des textes existants, assurez-vous de détenir les droits d’utilisation.
Et si on discutait budget ?
Tirage, cadre, support, location de salle, publicité, pot et autres représentent un certain coût qui peut augmenter très rapidement. Soit vous disposez de fonds, soit vous trouvez un sponsor. Ce dernier peut être une subvention d’un organisme public (les mairies, les conseils généraux/régionaux, les DRAC, l’Union Européenne), semi-public (essayer du côté du Centre National d’Art Plastique ou du Centre Européen d’Actions Artistiques) ou privé. Un autre canal, très usuel de nos jours pour trouver votre financement, les plateformes de crowdfunding (Ulule ou Kisskissbangbang par exemple) où vous pouvez tenter votre chance.
Certains pourront vous proposer d’envisager un partenariat avec une association. Celle-ci vous aide financièrement et, en échange, vous lui reversez les bénéfices issus de l’exposition. Certes, rien n’entrera immédiatement dans votre poche, mais cela ne vous coûtera rien. Néanmoins, cette solution est rarement une bonne idée, les associations étant assez frileuses pour apporter des financements, car elles sont elles-mêmes en manque de fond.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, faire une expo c’est :
- Disposer de photos en nombre suffisant sur le thème choisi,
- Disposer d’un budget et de ressources (vos prestataires),
- Faire un planning et s’y tenir,
- Communiquer,
- Communiquer, encore et toujours.
Cinquième étape : Monter l’exposition
Il faut visiter les lieux. Si possible de manière physique, à minima de manière virtuelle. Il convient aussi de discuter avec le maître des lieux, voir ce qu’il est possible de faire ou pas. Si ce sont les lieux et leurs dispositions qui décideront du volume de l’accrochage, c’est-à-dire du nombre de photos exposées, le propriétaire (ou responsable) des lieux aura souvent le dernier mot, par connaissance essentiellement.
Si on vous laisse la responsabilité de la disposition, prévoyez une disposition aérée, en tenant compte des contraintes liées à chaque type de lieu. Par exemple, si c’est un bar ou un restaurant, il faudra éviter de mettre vos clichés dans un endroit non visible (derrière des lampes) ou non souhaité par le responsable. Faites des photos et ayez les dimensions des murs susceptibles d’accueillir vos œuvres (largeur et hauteur).
Pour rendre plus vivante votre exposition, prévoyez des encarts pour légender soit toutes les photos, soit quelques-unes d’entre elles.
À la fin, il vous faudra monter physiquement l’expo. Pour cela, il conviendra de connaître le temps dont vous disposerez le jour J. Et puis, serez-vous autonome (dans ce cas il faudra prévoir l’outillage et éventuellement une aide) ou bien serez-vous accompagné par une équipe en place ? Sachant que la plupart du temps, vous ne disposerez que d’un laps de temps (extrêmement) réduit.
Sixième étape : Vernissage
Tous les obstacles ont été levés un par un. L’exposition est montée, la communication a été correctement réalisée autour de votre produit : vos photos exposées. Il ne vous reste plus qu’à accueillir vos visiteurs.
Lors du vernissage et des permanences, s’il y en a, allez à la rencontre des visiteurs. Discutez avec eux, non pas de technique, mais de votre démarche personnelle, votre ou vos buts, vos émotions. Aller au-devant de ses invités est nécessaire, indispensable même.
Quand aux traditionnelles questions de type « cocktail / pas cocktail », « qui invite et qui est invité » ou la prise en charge de la communication, cette question aura été traitée en amont (étape 4), avec le responsable du lieu.
Comme beaucoup d’entre nous, la pratique de la photo est souvent solitaire. Soit dans la prise de vue, soit dans le partage. Il est souvent difficile de partager quelque chose qui fait souvent partie de nous-mêmes. Oser montrer commencera souvent par internet ou des livres, voire pour certains, des clubs photo. Mais à un moment, il faudra sans doute aller plus loin et « commettre » une exposition. Même si la production ne semble pas le valoir. Et au risque de ne pas rencontrer le public. Partager provoquera toujours des réactions disparates. Certains n’aimeront et d’autres pas.
Alors, pourquoi pas maintenant ?