Régulièrement, j’entends, je lis ou je vois des choses qui m’énervent. Aujourd’hui, c’est toujours à propos d’un thème récurrent qui apparaît dans des blogs ou des revues : le focus-breathing.
Suite à un précédent article, il nous a semblé intéressant de revenir sur un point abordé. Un objectif annoncé pour être un 70-200 mm couvre-t-il réellement cette plage ou pas, et dans quelle condition ? Est-ce une omission ou, pire, un mensonge ? Qu’en est-il exactement ?
Note : Ce problème est aussi évoqué sous le nom de Focus-Breathing. Ce terme recouvrira donc, deux notions assez différentes : l’effet « pompage » au moment de la mise au point (comme rapporté ici), et celui que nous abordons dans cet article.
La mise au point
Avant de commencer, je préfère rappeler deux petits points essentiels :
- Si un objectif ment, ce ne sera pas de son fait, car il n’a aucune volonté. Il ne pense pas. Il fait ce pour quoi il a été conçu. Par contre sa conception peut induire une distorsion de la réalité, que je nomme mensonge.
- En aucune manière je n’accuse les fabricants d’avoir voulu tromper sciemment les acheteurs. Il arrive qu’on rate un produit. Où que les contraintes optiques ne puissent permettre de faire autrement.
Rappel de quelques notions
Comme vous le savez, la mise au point est essentielle à la réussite d’une photo. C’est elle qui va déterminer ce qui sera net de ce qui ne le sera pas (attention, une photo réussie peut ne pas être nette). Pour ce faire, les opticiens ont conçu différents dispositifs afin d’y arriver. Aujourd’hui, les plus utilisés sont ceux qui déplacent un ou plusieurs groupes de lentilles. Ce déplacement peut s’effectuer en bout d’objectif pour les plus simples, à l’arrière pour les plus complexes.
Ce déplacement peut également avoir lieu de manière interne ou de manière « externe ». Dans ce cas, c’est le corps de l’objectif qui coulisse alors dans son fût, afin d’assurer la mise au point entre l’infini et la distance minimale de mise au point. Dans le premier cas, le groupe de lentille de mise au point est plus petit et plus léger afin d’être déplacé rapidement, sans trop de puissance absorbée.
Quel est le rapport entre d’éventuels mensonges de la part des fabricants et la mise au point ?
Lorsque la distance de mise au point d’une optique est modifiée, il y a une variation de la longueur focale d’un objectif. Et donc, de l’angle de vue et du grossissement. Tout vient du fait que, quand on déplace des éléments à l’intérieur d’un objectif, on en modifie les paramètres optiques. L’un de ces paramètres est justement la distance focale effective, donc l’angle de vue. L’incidence est qu’un objectif donné pour 200 mm selon les conditions, ne proposera pas vraiment 200 mm. En pratique, la focale réelle variera selon la distance de mise au point.
Puisqu’il s’agit d’un problème lié à la modification des paramètres optiques d’un objectif, on se rend bien compte que la conception d’optiques est très importante. Une formule optique ratée peut provoquer des variations très importantes.
Chaque objectif a une distance minimale de mise au point propre qui lui est propre. Ce problème sera donc propre à chaque objectif.
Comment calculer le grandissement réel
Une formule de calcul simple
Essayons de simplifier le principe afin de le rendre compréhensible, au risque de mécontenter les connaisseurs. Il s’agit de vulgariser le principe et ne pas calculer réellement la vraie focale.
En elle-même, la formule est simple :
grandissement = Allongement du tirage optique de l’objectif / distance focale réelle
Même si le calcul est rapide puisqu’il s’agit dune simple division, ses éléments nécessitent eux-mêmes d’autres calculs, beaucoup plus complexes. Calculer le grandissement réel n’est donc pas chose aisée.
Mais des valeurs difficiles à trouver
Tout part de la distance focale qui est une des caractéristiques principales d’un objectif. La focale va déterminer la relation dimensionnelle entre l’objet et son l’image sur le capteur, c’est à dire, qui détermine les dimensions de l’image formée sur le capteur de l’appareil photographique.
Lorsqu’un faisceau de rayons lumineux parallèles à l’axe optique traverse tous les éléments de l’objectif, il émerge sous forme d’un faisceau convergeant vers un point (de convergence) appelé « Foyer Principal Image » (principal, car il est situé sur l’axe optique et « image », car il est situé côté capteur, là où se forme l’image). Pour faire simple, le « Foyer Principal Image » c’est la surface du capteur.
Il existe aussi le « Point Principal Image ». Ce dernier est situé à l’endroit où l’axe optique traverse le plan principal. La distance qui va séparer le « Point Principal Image » et le « Foyer Principal Image » est la « Distance Focale Image ». Pour une focale fixe type DA35, cette distance est en principe de 35 mm, tandis qu’un DFA85, ce sera 85 mm. Concernant les zooms, le « Point Principal Image » va se déplacer entre les distances du range de l’objectif. Pour le DFA 24-70, ce « Point Principal Image » va donc varier de 24 à 70 mm. Ceci c’est pour la théorie. En pratique, « Distance Focale Image » (la distance focale réelle) est différente et il conviendra de la calculer avec exactitude.
Il reste 2 points à connaître, le « Foyer Principal Objet » qui est le sujet sur lequel va s’effectuer la mise au point, ainsi que le « Point Principal Objet » (une des lentilles).
Pour information, la distance entre la dernière lentille et le « Foyer Principal Image » se nomme le tirage optique.
La formule optique d’un objectif
Afin de calculer la position exacte des 4 points principaux d’un objectif, il faut accéder à la définition de son système optique. Pour le grand public, la seule source facile d’accès est les brevets d’invention ! Par exemple, le brevet du D-FA 70-200 permet d’obtenir tout ce qui est nécessaire, comme le rayon de courbure des lentilles, les distances entre les lentilles, etc.
Ensuite, on pourra déterminer l’allongement du tirage optique de l’objectif entre sa configuration de mise au point à l’infini et une distance de mise au point quelconque :
- Quand l’objet est à l’infini, le « Centre du Plan Image » est confondu avec le « Foyer Principal Image ». L’allongement du tirage optique est donc égal à 0.
- Quand l’objet est à la distance de mise au point minimal, le « Centre du Plan Image » se déplace progressivement (vers la droite) du « Foyer Principal Image ». La conséquence est que l’allongement du tirage optique est plus important.
Conséquences
Dans la pratique, cela veut dire qu’un objectif annoncé pour être, par exemple, un 70-200 ne sera pas vraiment un 70-200. Les fabricants d’objectifs font une omission, un raccourci par facilité : les focales annoncées ne sont pas toujours exactes. Historiquement, la variation est souvent de l’ordre de 5%. Chez Pentax, la variation moyenne est de 5,5%.
Malheureusement, ce n’est pas le cas de tous les objectifs. Un des plus mauvais exemples serait, semble-t-il, le Nikkor 70-200 f/2.8 VR II. Le conditionnel reste de mise, car, n’ayant pas pu constater ce problème moi-même, je ne fais que reporter des « on-dit » lus ailleurs. Si à 70 mm, il offre un vrai 70 à la mise au point à distance minimale, 72 mm pour la mise au point à l’infini, à 200 mm, il ne donnerait qu’un petit 134 mm pour la mise au point à distance minimale (!) et 192 mm pour la mise au point à l’infini.
Dans le même registre, il y aurait également le Sigma 18-250 qui perdrait 73% de sa focale à 250 mm avec mise au point à distance minimale. Il se comporterait alors comme un simple 67 mm.
Côté Pentax, le DFA * 70-200/2.8 sorti en 2016 laisse aussi une part d’interrogation.


À 200mmm et à environ 2,50 m de distance, la différence de couverture visuelle est d’environ 25% entre le DFA★ 70-200 et son homologue de chez Sigma. Lors d’une mise au point à courte distance, le DFA★ 70-200 est plus proche d’un objectif de 150 mm que de 200 mm, ce qui fait une différence importante.
Mais est-ce un vrai problème ?
Qu’un 70-200 se comporte comme un 70-185 à 200 mm selon la distance de mise au point, cela n’aura pas de très grande incidence sur votre photo. Aucun opticien, grande marque ou pas, n’est à l’abri de concevoir une optique qui dévie de son droit chemin. D’ailleurs, il ne doit pas en avoir beaucoup qui sont absolument sans aucune déviance, même infime. Le tout est ensuite d’en connaître l’importance.
Faible, elle est acceptable. Importante et c’est problématique. Perdre jusqu’à 70% de sa focale, ce n’est pas anodin. Certes les lois de l’optique sont telles qu’il ne doit pas être évident de concevoir un objectif. Mais si des constructeurs y arrivent, cela veut dire que c’est possible. Quand il y a de tels écarts, c’est qu’il y a eu un défaut de conception, souvent pas assumé.
Alors, est-ce problématique ? La plupart du temps, cela ne l’est pas. Parce que si un objectif est un 195 au lieu d’un 200, l’impact est suffisamment faible pour que l’on n’y prête pas attention. Cela n’empêche pas de prendre de bonnes photos. Sans compter que la plupart des utilisateurs ne s’en rendent jamais compte. Ce qui tendra à laisser penser que ce n’est pas si important que cela.
Alors, mensonge ou pas ?
Tout est question d’interprétation et de tolérance. Mon opinion est la suivante :
- Si l’objectif s’approche des spécifications annoncées, alors il n’y a pas mensonge.
- Si l’objectif dévie fortement des spécifications annoncées, alors il y a mensonge. Selon moi, il est complètement anormal qu’un objectif, sous prétexte que la mise au point s’effectue à distance minimale et que cela est plus compliqué, n’ait pas un champ focal proche de celui annoncé. Le constructeur est obligatoirement au courant, ou alors il est mauvais. Le fait qu’il ne l’annonce pas montre bien qu’il y a, explicitement, une volonté de tromper le client par omission de la réalité.
Dernier point
Rares sont ceux qui se rendent compte du problème, à moins qu’il ne soit d’importance. Mis à part les professionnels, les passionnés de la recherche du moindre défaut ou l’amateur qui tombe dessus par hasard. À moins de disposer des brevets et de faire les calculs, il est quasi-impossible de trouver les valeurs réelles. On peut avoir une idée des capacités de ses objectifs en effectuant des tests visuels spécifiques. Et si un objectif fait preuve d’un vrai défaut, il conviendra de le signaler, car les acheteurs doivent être mis au courant. Au moins pour savoir, sans forcément monter une cabale ou gloser à n’en plus finir.
La plupart des photographes ne s’apercevront jamais que leur zoom, à focale maximale et à mise au point minimale, est faux. Surtout si l’écart est minime. Et souvent, même s’il est important, parce qu’ils auront le sentiment d’avoir ce dont ils avaient envie. Et au fond, c’est sans doute cela qui compte.