Qu’est-ce qu’un Historien ? Selon l’encyclopédie en ligne Wikipédia (qui peut être sujette à caution au vu de son mode de fonctionnement et des individus qui rédigent les textes), une Historienne / un Historien est une personne qui analyse ou publie sur l’Histoire, en produisant un discours ou un écrit respectant une méthode scientifique. L’Histoire est, quant à elle, l’étude et la rédaction des faits et événements passés. C’est réducteur et nécessiterait une plus grande tribune pour une approche plus profonde. Mais cette définition permet de pose le cadre de mon propos.
Aparté : Vous avez remarqué sans doute que j’ai écrit le mot Histoire avec un H majuscule. Parce qu’il y a l’Histoire (cf. ci-dessus) et l’histoire (voire une histoire). Autant la première se doit d’être précise, rigoureuse (même si elle est remise en cause par de nouvelles connaissances), autant la seconde, c’est autre chose. Il s’agit plutôt d’un récit, d’une construction parfois (souvent ?) imaginaire portant sur des événements ou des personnages qui n’ont pas forcément existé, et qui n’obéit à aucune règle fixe… Il y a une différence.
Le photographe est-il un Historien ?
Si on s’en tient à la définition de l’Histoire avec un grand H, c’est non. Parce qu’un photographe va prendre un instantané d’un phénomène à un moment X. Au pire ce sera de l’actualité immédiate. Au mieux, un élément inestimable pour comprendre les circonstances anciennes.
Quand Salgado capture sur négatif la tentative d’assassinat de Ronald Reagan (président des USA) en 1981, il apporte au monde entier un témoignage précieux sur les faits. Il n’est pas le seul. Et c’est l’ensemble des témoignages recueillis durant la période qui permettront à l’attentat contre un président américain d’intégrer l’Histoire des USA (du monde aussi).
Au mieux, quand je regarde cette photo, en l’absence de tout contexte, l’histoire qu’elle me raconte est que des hommes sont à terre, tandis que d’autres, armées, sont autour de quelque chose, de quelqu’un. Est-ce une arrestation ou une protection d’un blessé ?
Ce cliché et les autres incarnent le temps capturé à un moment donné, non représentatif, mais matérialisé.
Un photographe peut-il être neutre ?
Comme un peintre n’est pas neutre, le photographe ne l’est pas non plus.
Le tableau Guernica de Picasso est un témoignage de l’horreur ressenti par ce dernier. Mais il n’est pas l’Histoire. De même, les représentations de Louis XIV par Rigaud (et son atelier de petites mains) prêtent à sourire. Certes le roi affectionnait ce tableau, mais comment pouvoir croire qu’elle représente l’Histoire ? Si on regarde bien, le visage du roi est bien celui d’un homme âgé (grosso modo 63 ans au moment du dessin initial). Mais les jambes gainées de soie amorçant un pas de danse semblent celles d’une jeune personne.
Ici Louis XIV, entouré des insignes de la royauté avec parfois une pointe d’humour (le sceptre royal est tenu à l’envers comme une canne), apparaît comme hors du temps, dans une éternité qui devrait s’imposer. Il est le roi symbole qui ne meurt pas.
Le photographe fait de même. Tous deux détiennent un pouvoir immense, celui d’immortaliser un instant et lui donner la vie éternelle. Comme tout créateur, ils peuvent remodeler une image, la modifier, la recadrer, changer des détails…
Prenons les trois clichés qui suivent. Il s’agit de la même maison, avec trois visions différentes. La première est assez classique et contemporaine. On peut penser qu’elle a été faite récemment. La deuxième est abimée, comme si on l’avait retrouvé au fin fond d’un tiroir, oublié depuis des décennies. La troisième, en Noir & Blanc, donne une certaine intemporalité, même si l’antenne télé et les climatiseurs aux fenêtres indiquent que c’est moderne.
Une même photo pour trois histoires différentes. Toutes les 3 sont aussi réelles qu’imaginaires. Cela illustre bien qu’une démarche de photographe n’est jamais neutre. Ni au moment de déclencher la prise de vue, ni en post-traitement.
Un photographe fait sien des moments capturés. Il se les approprie, retient l’essentiel, choisit la couleur qui donnera ou pas une temporalité. Il va écrire ce moment à sa façon, apportant une histoire, mais qui ne sera pas l’Histoire.
Alors, aurait-il un rôle de gardien de mémoire ?
Ce serait plus réaliste, plus en phase avec la réalité. Car un photographe prend des clichés, à un moment donné. Lesquelles images ne sont pas toujours la réalité, mais une réalité. Celle de celui qui appuie sur le déclencheur. La mémoire n’est pas l’histoire.
À gauche : Baiser de l’hôtel de ville (R. Doisneau) – À droite : Place de l’Europe (H. Cartier-Bresson)
Pour meilleure preuve, il suffit de prendre le célèbre « baiser de l’hôtel de ville » par Doisneau. Ce cliché a tout d’une réalité… alors qu’il a été travaillé, préparé avec des acteurs (il y aurait eu même plusieurs couples différents jusqu’à ce que Doisneau soit satisfait).
Quant à la prise de vue de Cartier-Bresson, ce dernier a toujours affirmé qu’il était réel. Dans ce cas, il a eu la chance incroyable d’être là au moment opportun. Alors, autant le croire.
Ces deux photos montrent des éléments d’une époque, celle de la France des années 1950-60 dans ces cas (avec les habits, la circulation, le paysage et les décors, etc.). Il offre une mémoire à un instant précis.
Quant à cette photographie de vieille télé… Typiquement cette dernière est ancienne, très ancienne pour ce média. Pourtant, il a été pris en juillet 2022 dans un grand magasin parisien en bord de Seine refait à neuf comme avant. Mais que doit-on retenir ? De quoi suis-je le gardien en tant que preneur du cliché ? Que ces télés ont existé un jour, qu’en 2022 on exposait ces vieilleries ?
Je ne crois pas dans l’objectivité d’un photographe
Un photographe est surtout, selon moi, un raconteur d’histoires, une personne qui va immortaliser des scènes qui ne seront pas neutres. Inconsciemment, le metteur en scène, que l’on est au fond de soi, intervient dans le choix du sujet et dans le cadrage qui sera forcément subjectif.
Et puis il y a aussi la manipulation délibérée, comme on a pu le constater lors de la période soviétique lors les images étaient retouchées afin de faire disparaitre des personnages.
Quand la polémique autour de Steve McCurry et ses photos retouchées s’est fait jour en 2016, je me souviens des mots très forts « vérité » et « objectivé » qui ont été maintes fois martelés. L’indignation est facile à notre époque. C’en est même devenu la norme. Une réponse en forme de boutade d’un entraineur de foot peut muer en un sujet sociétal parce que les politiques s’en sont emparés en s’offusquant lamentablement ! Tellement pathétique…
Mais je m’égare. « Vérité », « objectivité »… Il s’avère que je ne crois pas totalement en ces mots. Parce que souvent, ce qui est vérité pour l’un ne l’est pas pour l’autre. Les exemples sont légion au fil de l’histoire. Chacun sa vérité…
Et puis, comment peut-on parler d’objectivité quand un photographe va choisir ce qu’il montrera grâce au choix du cadrage ? En ayant le pouvoir d’exclure du champ de vision des éléments, on biaise la vérité.
La photographie apporte à la mémoire. La mémoire n’est pas l’histoire. Le photographe n’est pas un Historien. Mais comme les peintres et dessinateurs avant lui, il contribue à l’écriture de l’Histoire. Il procure un témoignage. Et c’est déjà beaucoup, vous ne trouvez pas ?