IA et photo, conclure ?

J’ai écrit récemment un article sur l’intelligence artificielle, avec un focus sur Luminar AI et les logiciels qui proposent et proposeront des fonctionnalités permettant la modification profonde des clichés très facilement. Ces logiciels posent d’énormes interrogations sur la photo. Du moins pour moi.

  • C’est quoi la photo ?
  • Doit-elle refléter la réalité ou bien une perception de la réalité ?
  • Mais c’est quoi la réalité ?
  • Est-ce la fin de la photo classique qui serait réservée désormais à une élite au vu des coûts fabuleux d’acquisition ? Un sujet qui mérite toute son attention et qui sera abordé dans un prochain article.
Peindre avec la lumière

C’est John Herschel qui a inventé ce terme qui veut dire « peindre avec la lumière ». Or la peinture n’a pas toujours été un reflet exact de la réalité. Certes, pendant des siècles, les peintres ont tenté de reproduire une vérité. Mais celle-ci était biaisée. Ainsi, nombre de portraits de grands des temps lointains (rois, reines, ducs, comtes, etc.) étaient flatteurs, quitte à gommer certaines réalités (la taille, les verrues, etc.). Au fil des années, les peintres se sont détachés de la réalité et de nouveaux courants sont apparus (fauvisme, cubisme, pointillisme, impressionnisme…).

Prenons le tableau Guernica peint par Picasso. Sa perception de l’horreur du massacre de la ville espagnole n’a rien à voir avec un instantané minute qu’aurait pu être pris avec un appareil photo. Pourtant, cette peinture est devenue le symbole fort de ce moment-là. Dès lors, pourquoi ce qu’on accorde à Monet ou Picasso ne pourrait pas l’être aux milliers d’amateurs qui détournent le cliché original vers autre chose ? À l’instar de Pierre et Gilles qui proposent une création originale, mélange de photos et de peinture. Il y a bien détournement des clichés originels vers une perception qui leur est propre.

Et cela, même si au travers d’outils moins traditionnels comme un logiciel sous IA.

De la difficulté de répondre

Dans la mesure où l’on considère que chacun a sa propre vision, ses propres centres d’intérêt et son propre style de prise de vue photographique, peu de personnes arrivent à vraiment être objectives. Mais d’ailleurs doit-on l’être ? Je pense que, si une photo peut-être le reflet exact de la réalité, ce n’est pas une finalité. Une photo reste et doit rester une interprétation de la réalité par le photographe et son développeur (qui peuvent être une seule et même personne ou plusieurs).

Si on prend le grand photographe qu’est Sebastião Salgado. Ses fantastiques clichés N&B ne sont pas la réalité de ce qu’il a vu puisque c’était en couleur. Quant au résultat final, il s’agit du reflet de ce qu’il veut montrer, de sa vision qui lui est propre. Avec ses photos souvent posées, il a été accusé d’utiliser de manière cynique et commerciale la misère humaine, de rendre belles les situations dramatiques qu’il saisit au risque de leur faire perdre leur authenticité. Mais cela veut dire quoi « authenticité » ?  Les photos de Salgado sont aussi authentiques que celles de Depardon.

Sebastião Salgado
Sebastião Salgado

Ce qui est plutôt dérangeant au fond, c’est que des logiciels, sous couvert d’AI, nous proposent une standardisation de la transgression de la réalité avec les mêmes modèles offerts à tous (même si les possibilités restent nombreuses). Alors que les éditeurs vont promettre des possibilités incroyables, c’est un enfermement de l’imagination qui risque de s’imposer. Un cantonnement, une standardisation à l’Instagram. Jusqu’au moment où de vrais artistes sauront profiter de la créativité proposée pour être originaux, innovants.

Alors, pour ou contre ?

À vrai dire, difficile d’avoir un avis tranché sur le sujet. Peut-on s’opposer à ceux qui souhaitent des outils plus simples au risque de cantonner la photo à une élite ? Doit-on refuser toute transformation des photos sous prétexte que ce n’est pas la réalité, au risque de faire subir la même chose à Bracque ou Matisse ? Pour être franc, quand j’ai commencé à écrire l’article sur les logiciels mettant l’AI en avant pour sublimer les photos, je leur vouais une franche hostilité, car ils se substituent au photographe.

La réflexion menée m’a conduit à changer quelque peu la cible de mon hostilité. Une grande partie est plutôt dirigée vers les utilisateurs desdits logiciels. L’outil n’est rien sans génie créatif. Luminar AI et les autres logiciels similaires qui ne manqueront pas de sortir, ne transformeront personne en artiste. Au pire, on verra de « nouvelles modes photographiques » apparaître sur Instagram ou ailleurs. Le mauvais goût y trouvera une nouvelle voie d’accès pour se propager.

Il ne reste pas moins que certains projets ne m’enchantent pas. Comme la constitution de la photo parfaite d’un lieu, à partir des centaines de milliers de clichés déjà parus. L’IA prenant ici et là le meilleur de chacun. Un projet terrifiant, car il nierait toute créativité. Malheureusement, il en existe bien d’autres de cet acabit.

 

Bouton retour en haut de la page