Le trucage des photos existe depuis longtemps, avec ou sans aide d’une intelligence artificielle quelconque. Pourquoi pourrait-on se demander ? Tout simplement parce qu’une photographie est un instantané permettant de fixer une réalité. Dès lors, elle est devenue, à tort ou à raison, un des moyens de témoigner de ladite réalité. Au point que la justice en a fait, sous condition, un élément de preuve. Dans cette première partie d’une série d’articles consacrée aux apports de l’Intelligence artificielle dans le traitement des prises de vue, je vous propose de revenir sur les différences entre les activités de Post-Traitement photographique et les activités de manipulation de l’image. Des activités qui ont gagné un surnom : photoshopage…
Les modifications peuvent aller très loin, de l’effacement d’une tache à l’amaigrissement drastique d’un(e) mannequin. Malheureusement, on peut faire à peu près tout, dès qu’on a une connaissance suffisante du logiciel roi ou d’un de ses concurrents. Les dérives sont suffisamment importantes pour qu’en France le législateur s’en soi mêlé.
Le « photoshopage » est un terme générique pour désigner la modification profonde du même cliché. Ce terme et les autres expressions associées (comme « photoshopé », etc.) sont modernes et n’ont pas d’existence réelle. Ils ont été inventés par la communauté graphique pour désigner une ou des modifications d’une image. Le logiciel Photoshop d’Adobe étant le plus connu et le plus utilisé (car le plus piraté), il y a eu extrapolation du langage à partir de la marque. Néanmoins, il convient de préciser que la manipulation des images est aussi vieille que la production des photos. Seuls les outils ont changé à travers le temps…
Là où le bât blesse, c’est que dans l’imaginaire des gens, il y a un amalgame entre le développement d’une photo (le Post-Traitement) et le « photoshopage » où l’on va modifier la photo. Pourtant, il y a des différences. Le PT a toujours existé, afin de compenser les imperfections du support. Même les mini-labs de développement rapide de photo argentique (en 1h chrono) appliquaient des corrections automatiquement.
Post-Traitements
Je l’ai déjà dit et redit à plusieurs reprises, traiter une photo ce n’est pas tricher. Parce que depuis que la photo existe, il a (presque) toujours fallu un traitement pour que l’image soit visible. Les procédés ont changé, évolué, mais cela reste toujours le cas. Du temps de l’argentique, en chambre noire, les photographies étaient travaillées pour obtenir le résultat que le photographe désirait.
Le numérique n’a fait que changer les outils. Au revoir les produits chimiques, adieu la bêtise du dernier moment obligeant à tout recommencer. Et bonjour les logiciels informatiques. Désormais, quand un boîtier numérique prend un cliché, soit il enregistre le résultat issu du capteur dans un fichier RAW, soit il opère un développement et enregistre une image au format JPEG. Dans ce dernier cas, le cliché est utilisable immédiatement. Dans le premier, vous devrez développer vous-même le fichier RAW. Ce qui vous donnera toute latitude pour travailler le cliché de manière à ce qu’elle ressemble le plus à ce que vous avez voulu photographier. Gardez à l’esprit que la photographie est une discipline artistique. Ce qui veut dire que l’artiste peut interpréter son œuvre.
Le PT comprend donc tout le travail, toutes les retouches effectuées sur une photographie après la prise de vue. Pêle-mêle, on y mettra le changement de cadrage (le recadrage), les modifications portées sur le contraste, la balance des blancs, la saturation des couleurs, les hautes lumières, la conversion en noir et blanc, etc. Mais pas que puisque j’y ajoute aussi les suppressions de taches de poussières et autres artefacts qui perturberaient la lecture de l’image telle que je la veux.


Toutes les accentuations « classiques » cherchent seulement à améliorer et ne procèdent pas de la manipulation. Mais il convient de reconnaitre que la frontière est parfois tenu parce que ce seront souvent les mêmes outils qui seront utilisés. On est parfois proche d’une déformation de la réalité qui serait, elle, considérée comme une manipulation. On peut dire que celle-ci commence quand il y a une volonté manifeste de faire passer une photo pour autre chose que ce qu’elle est. Attention, tout travail de ce type ne s’inscrit pas dans la case tromperie/falsification. Il peut avoir une manipulation qui s’inscrit dans le cadre artistique.
Une manipulation de la réalité au service de l’artistique
Il s’agit bien d’un travail issu d’une manipulation des images originelles dans le but d’obtenir une œuvre artistique. Cette manipulation peut s’effectuer en amont de la prise de vue, a posteriori ou les 2 évidemment.
Une d’entre elles consiste à prétendre qu’une photo a été faite en un endroit et/ou à un moment, alors que ce n’est pas le cas dans la réalité. Les exemples sont nombreux, comme par exemple les célèbres photos de Robert Capa (« mort d’un soldat républicain », 1936) et de Joe Rosenthal (« Le drapeau d’Iwo Jima », 1945). Ces clichés sont très certainement des reconstitutions afin d’illustrer un fait historique que le photographe n’a pas pu prendre au bon moment. Mais attention, l’événement originel a bien eu lieu et celui-ci n’est pas remis en question.
Une autre concerne la scénarisation préalable de la photo. Tout va porter à faire croire que le cliché a été pris sur le vif, de manière complètement spontanée, alors qu’il n’en est rien dans la réalité. L’exemple le plus emblématique serait le fameux « baiser de l’hôtel de ville » de Robert Doisneau. Dans la réalité, il y aurait eu plusieurs clichés, avec des couples différents dans la même pose. Mais là Doisneau a choisi d’utiliser de vrais couples rencontrés dans la rue ou dans un café, des personnes qui avaient de vraies affinités entre elles. Il s’agit donc de vrais baisers. Doisneau a ensuite retenu une version chargée d’émotion. Ici, la justesse de la photo ne tient pas au fait que ce soit une « photo volée », mais à l’émotion du baiser.
Autre exemple dans le même ton, celui de la photo réalisée par Cartier-Bresson derrière place de l’Europe, gare Saint-Lazare. Difficile de croire que cette photo a été faite à la volée. Le moment semble tellement unique, entre l’arrière-plan et l’eau dignes d’une pose longue et le saut parfait avec une grâce aérienne. Mais… Au fond, peu importe qu’elle soit le fruit du pur hasard ou d’un travail. La photo paraît réelle et magique. Elle apporte une émotion. C’est tout ce qui compte.
Dernier exemple de « bonne » manipulation, celle que proposent les plasticiens Pierre & Gilles. Le travail est immense et la manipulation totale. Cette œuvre n’existe pas en réel à l’origine. Au début, il y a un vrai cliché. Lequel a été transformé afin de donner une œuvre toute personnelle, correspondant à la réalité artistique des auteurs. Qu’on aime ou pas, ce n’est pas le propos. Ce qui compte c’est que le résultat soit authentique.
Dans tous ces cas, ni la plastique de ces photos, ni leurs symboliques ou leur célébrité n’en ont souffert. Sans doute parce que le plus intéressant était le ou les messages véhiculés. Il faut accepter l’idée que l’on puisse manipuler, transformer une photo afin de réaliser une œuvre différente.
De la manipulation à la falsification
Malheureusement, la manipulation de l’image a aussi servi à falsifier des événements. Soit en les créant artificiellement, soit en faisant disparaître des éléments (souvent des individus) d’une vraie image. Les spécialistes du genre étaient les Soviétiques qui ont maquillé de très nombreuses photos officielles après la disparition (exécution ou disgrâce) de certaines personnalités. Les exemples en la matière sont légion, surtout à l’époque de Staline.
Le personnage de droite, Nikolaï Iejov, surnommé « le nabot sanglant » était patron du NKVD (ancêtre du KGB) au moment des purges staliniennes de 1937. Il a lui-même été purgé (comprendre exécuté) en 1939-40 et a disparu des photos à ce moment-là. Le fait que les photos, vues auparavant dans leur état initial, continuent à être vues, une fois modifiées, avait pour but de renforcer l’idée que la disparition des « ennemis du peuple » était une réalité intangible, inéluctable et qui concernait tout le monde. Personne n’était à l’abri.
La même pratique a fait disparaître Trosky des clichés où il était proche de Lénine. Dans le cas de manipulation ci-dessous, la photo n’est pas exactement la même. L’angle de prise de vue est différent tout comme la séquence. S’il reste possible que Trosky ait déjà quitté la tribune, la possibilité d’un maquillage l’est tout autant. Avec le bannissement de Trosky, les orfèvres soviétiques vont éliminer systématiquement toute présence de Léon dans les clichés (comme dans le cliché de « une » de l’article). Il ne sera d’ailleurs pas le seul…
Orfèvres ? Oui clairement. On ne peut parfois qu’être admiratif du travail accompli. Surtout qu’à l’époque, Photoshop n’existait pas ! Tout le travail de retouche, de maquillage a été réalisé à la main. Quel dommage que ce talent ait été mis au service du mensonge, afin que les images collent à une réalité politique imposée. Certes, les soviétiques n’ont pas été les seuls à trafiquer des images, mais ils sont ceux qui ont le plus fait en la matière, dans presque tous les domaines.
Avec l’avènement de l’informatique et du numérique, les outils se sont modifiés. Exit le crayon gras et bienvenu au pinceau numérique qui peut prendre des formes différentes. Au fur et à mesure, on a vu les possibilités se multiplier, au point qu’aujourd’hui, les logiciels sont capables de choses délirantes. Ce qu’on verra dans le deuxième chapitre.