Nous sommes en 2021 et la photo parfaite n’a jamais été aussi proche. Si les truqueurs de l’histoire avaient disposé des outils actuels, je n’ose imaginer les résultats qu’ils auraient obtenus. Car désormais, les choses n’ont jamais été aussi simples. Le pinceau numérique numérique est partout. Les possibilités se sont multipliées, au point qu’aujourd’hui, les logiciels sont capables de choses délirantes. Trop même, déclenchent parfois des polémiques. Ainsi, on peut voir des « clichés » de mannequins très retouchés, assez loin de la réalité. Mais les diktats de la mode sont passés par là et un mannequin, c’est tailler 32 !
Évidemment, ce milieu particulier n’est pas le seul à être touché par l’idée de modifier ses clichés afin qu’ils reflètent ce qu’on attendait. C’est ainsi que des logiciels se sont orientés vers cette idée. Y compris ceux apparus à l’origine pour contrer Adobe Lightroom. Ils en ont même fait un argument de vente : « Maintenant vous êtes totalement libre de raconter votre histoire comme VOUS la voyez ». Ce type de publicité et celles qui sont associées me semblent dangereuses.
Pour un photographe, amateur ou professionnel, ce type de slogan a de quoi faire peur. Que cela recouvre-t-il ? Est-ce un logiciel qui va simplifier la vie en rendant plus simple le post-traitement ? Ou bien, comme les slogans le laissent supposer, est-ce un logiciel qui pourra proposer des photos dignes d’une double page alors qu’elles sont ratées dès la prise de vue ? Car ce n’est pas la même chose du tout.
(*) AI veut dire Artificial Intelligence, ou Intelligence Artificielle en français. Il s’agit d’un terme assez vague correspondant à un ensemble de concepts et de technologies, plus qu’à une discipline autonome constituée, dans le but de simuler l’intelligence humaine au travers des microprocesseurs.
Simplifier le Post-Traitement
Question de temps
Opter pour le RAW, c’est perdre du temps en Post-Traitement, comme les photographes de l’époque qui faisaient eux-mêmes leur développement. On pouvait parfois passer 3h ou plus sur une photo, avant de la jeter si on avait raté un détail.
Simplifier le Post-Traitement est un but louable. Reconnaissons le, les logiciels comme Capture One, Lr, DxO, Affinity ou ACDSee nécessitent un investissement en temps important. Il faut apprendre le logiciel et comprendre les interactions et répercussions entre les différentes actions. Un laps de temps non négligeable avant de pouvoir proposer des développements intéressants. Ce qui peut-être très rebutant !
En JPEG, oui. Mais pas en RAW. Sachant qu’une image JPEG est le résultat d’un développement automatique… Celui donc d’une IA (rudimentaire). Il s’agit du même débat qui opposait dans les années 80 les utilisateurs des miniLabs (photo en 1h) et ceux qui passaient par un professionnel (1 semaine… dans le meilleur des cas).
Les allergiques à l’informatique
Et puis, il y a ceux pour qui l’outil informatique est un ennemi qu’ils sont dans l’incapacité d’apprivoiser. J’en connais dans mon entourage. Pour eux, des logiciels comme ceux cités précédemment sont trop complexes à comprendre. Avec comme résultat, une désaffection du Post-Traitement, au mieux pour retourner au mode JPEG, au pire pour remiser l’appareil photo au placard. Ce n’est pas propre à l’outil informatique, mais aux logiciels en eux-mêmes.
C’est une des raisons pour lesquelles iPhotos d’Apple ou Picasso de Google ont rencontré le succès auprès d’un public béotien. Des logiciels simples qui permettaient d’obtenir un résultat sans rien y connaître. Même si iPhoto était une boîte fermée et que sa gestion des photos en interne était déplorable.
Donc, proposer au grand public un logiciel plus simple à utiliser, avec moins d’options compliquées, quitte à « assister » quelque peu le PT, cela a un sens. Nombreux ont été ceux à apprécier cette orientation apparue avec Luminar 4. En quelques clics, il est possible pour un néophyte d’obtenir un cliché intéressant, à condition que le matériel d’origine soit réussi (bien cadrée, bien composée).
Le fameux mode AI proposé par Luminar4 ressemble ni plus ni moins à un mode Auto plutôt efficace, même si à mon goût, l’image reste encore un peu terne. En tout cas, c’est suffisant pour de nombreux photographes amateurs.
Dans cette version 4, sont apparues d’autres fonctionnalités, comme le remplacement d’un ciel nuageux par un autre ensoleillé. Un changement bluffant puisque cet outil est capable de tenir compte des ouvertures d’un bâtiment placé devant le ciel. À rebours, le futur de Luminar a été annoncé à ce moment-là, en filigrane. Un futur où l’on allait pouvoir inventer une photo qui n’existait pas. Un futur où une photo pourrait être remodelée afin de devenir exceptionnelle. Le tout grâce à l’AI.
Luminar AI, la photo parfaite ou le trucage simplifié
Si on en croit l’éditeur Skylum à l’origine de cette campagne de communication, la dernière version de leur logiciel Luminar est le moyen le plus rapide d’obtenir des photos exceptionnelles…
Le slogan avancé au début de l’article (« Maintenant vous êtes totalement libre de raconter votre histoire comme VOUS la voyez ») est l’un des nombreux arguments de vente de Skylum pour Luminar AI. Se sont-ils rendu compte que vouloir concurrencer Adobe Lr était utopique ? Si oui c’est dommage, car, au fil des versions, l’écart se resserrait (un peu). Mais, bien que des efforts avaient été faits sur la partie catalogue, la marge de progression restait importante. Il est possible qu’une mesure du travail restant à fournir ait fait peur. Ce qui est certain, c’est que la firme Skylum semble lorgner d’autres horizons. Sans doute plus intéressants financièrement parlant puisque la concurrence est, pour le moment, moindre.
Le terme AI est omniprésent, utilisé à toutes les sauces. Dès qu’on fournit quelques images au logiciel, celui-ci propose des outils pour améliorer la photo. L’utilisateur doit d’abord choisir le « modèle » dans lequel va s’effectuer le développement avant de lancer un PT automatique. En moins d’une minute, on va passer de cette photo brute :
à un résultat plus intéressant :
À ce stade, Luminar AI se comporte classiquement, le côté intelligence artificielle étant, a priori, assez réduit. De ce que j’ai pu constater, il s’appuie sur des modèles de photos préétablies pour orienter le PT automatique. Ni plus ni moins que ce que propose Pentax sur son boîtier ou Adobe dans Lr avec les profils (Paysage, Portrait, Naturel, etc.). Simplement, ces modèles sont exposés sous forme de vignettes, ce qui aide à la décision d’une personne ne voulant pas s’investir outre mesure.
Dans les traitements qui suivent, le logiciel va nettement plus solliciter l’AI. Car on peut aller plus loin, en apportant des modifications plus importantes. En utilisant la partie créativité de Luminar AI, on va pourvoir modifier sa photo en profondeur, au point de changer le ciel. Et c’est tellement bien fait qu’on peut croire que la photo est bien réelle et qu’elle a été prise sous le soleil… Heureusement qu’il y a la photo d’origine !
Ce changement de ciel est impossible sous Lr. Certains des outils de Luminar AI sont très avancés. Ainsi, lors d’un remplacement d’un ciel par un autre, s’il y a un bâtiment avec des ouvertures donnant sur l’arrière-plan devant le ciel, il sera en mesure d’en tenir compte. De ce point de vue, l’IA est très efficace puisque le programme sera capable de reconnaître des situations particulières.
Ces insertions d’une lune du soleil ont demandé 3 mn de travail, dont 1 pour choisir un modèle de ciel parmi la liste proposée, le reste étant consacré au positionnement et à quelques modifications (taille et chaleur des rayons du soleil).
En fait, on peut tout faire (ou presque)
Avec ce type de logiciel, tout semble facile. On peut inventer des images qui n’ont jamais existé. La créativité offerte par Luminar AI est fascinante, car elle va demander très peu de travail et d’implication. L’intuitivité est assez élevée. On veut effacer un objet ? Direction les outils de base et Effacer. On veut changer le ciel ? Place aux outils créatifs et au bouton ciel. Il suffira de choisir ce qu’on veut. On veut ajouter un ballon ? Rien de plus simple puisqu’il suffit de cliquer sur « Ciel augmenté ». Des nuages au Space Shuttle, de base il y a de quoi inventer. Et si cela ne suffit pas, rien ne vous empêche d’en charger (uploader).
Cette image proposée ci-dessous est évidemment un pur fantasme de mon esprit. Pourtant je peux la proposer très facilement en une poignée de secondes.
C’est un sentiment très déconcertant, car il y a encore 10 ans, sous Photoshop ou équivalents, il fallait de nombreuses heures pour obtenir de telles améliorations. Et encore, pas forcément aussi bonnes. L’Intelligence Artificielle revendiquée par Skylum prend ici tout son sens. Ils ont mis au point des algorithmes prédictifs puissants. Avec la puissance processeur d’aujourd’hui, le temps de traitement est réduit. On peut même faire en sorte que des images de mêmes lieux, prises à des jours différents avec des conditions différentes (météo, lumières, etc.) semblent avoir été prise au même moment.
Attention ! Aujourd’hui, la technique informatique a tellement évolué qu’il est désormais possible de faire facilement presque tout. Désormais, c’est accessible en quelques minutes, pour un tarif très raisonnable. Il y a même un côté ludique addictif qui va passionner de très nombreuses personnes. Mais est-ce encore de la photo ?
Photoshop n’est pas en reste
Adobe n’a pas attendu la sortie de ce nouveau produit pour entamer le même type de démarche. Laquelle s’inscrit (pour le moment ?) dans le mastodonte (et parfois boursouflé) Photoshop. Ce sont les Neurals Filters. L’orientation semble ici plus « professionnelle ». Pour l’instant, l’ajout de ballon, d’oiseaux ou de lune ne semble pas d’actualité chez cet éditeur. Côté « pro » oblige, l’éditeur a souhaité plutôt rendre plus facile l’accès à des fonctionnalités traditionnelles, comme la suppression des détails gênants, la restauration des vieilles photos ou encore la colorisation de clichés noir et blanc.
Ceux qui se sont déjà attaqués à ce type de tâches savent qu’elles sont complexes et longues. Évidemment, si un logiciel permettait des gains de productivité, les opérateurs n’y trouveraient pas grand-chose à dire.
Il y a très peu de Neurals Filters pour le moment disponibles chez Adobe, mais les ingénieurs travaillent activement sur cette fonctionnalité et les composants devraient voir le jour en 2021. Et peut-être qu’Adobe sera également tenté par des Neurals Filters de changement de ciel ou d’ajout d’objets. Et on revient ici à la notion de ce qu’est la photo.
Ce qui est embarrassant en ce qui concerne l’IA, c’est que les concepteurs de logiciels l’utilisant semblent avoir pour ambition de se substituer aux sujets et aux photographes. L’amateur photo doit se montrer vigilant. Car, au même titre que nos boîtiers, objectifs et autres pinceaux d’un peintre, ces logiciels sous IA restent avant tout des outils. Et en lui-même, un outil n’est pas bon ou mauvais. C’est l’usage qui en est fait qui peut s’avérer désastreux.
L’IA a des qualités et des défauts. Il ne faudrait pas devoir jeter le bébé avec l’eau du bain sous de mauvais prétextes. Il y a des dérives qui me paraissent dangereuses et d’autres, utiles. L’IA aura vraisemblablement des incidences sur notre société. A fortiori sur la photographie. En espérant qu’on puisse trouver un juste milieu…