Le format carré est un des formats que je préfère.
Contrairement au format 24×36, basé sur la pellicule 35mmn qui permet un cadrage assez facile, voire simpliste, le format carré est nettement plus contraignant qu’il n’y paraît. On ne peut cadrer verticalement ou horizontalement. Le photographe ne peut pas choisir de mettre en valeur un paysage avec sa ligne horizontale ou un visage et ses lignes verticales. Avec le format carré, on perd les repères habituels de la photographie actuelle.
Il y a encore une époque pas si lointaine, le format carré était la « norme ». C’était l’époque du Rolleiflex, de la photo 6 cm par 6 cm (dite 6×6), du film 120 ou 220 et de la visée par-dessus. De nos jours, ce format est surtout utilisé comme solution quand le cadrage en 24×36 est raté. La photo n’est alors pas pensée carrée. Elle le devient par accident. Néanmoins, on note que certaines pratiques de type Instagram renouent avec ce format particulier. Ce qui est assez amusant.
Le carré est magique
De par son format particulier où la longueur égale la largeur, ce format est assez idéal pour des photos géométriques ou des photos dont la composition est centrée. Mais pas seulement.
Au format 24×36, la règle des tiers interdit de mettre le sujet principal au centre. Parce que le format rectangulaire donne une dynamique en hauteur ou en largeur et que si on centrait la photo, la dynamique disparaîtrait.
Le format carré permet de centrer son sujet principal. C’est même monnaie courante. Cela vient sans doute dû au fait qu’en l’absence de sens de lecture (horizontal ou vertical), on lit la photo comme on veut. Même si le regard se promène de façon circulaire, l’œil va se fixer sur le sujet principal et va souvent y rester scotché.
Contrairement aux photos verticales ou horizontales où le décor « extérieur » au sujet principal est très important sans quoi la photo pourrait paraître vide, pour une photo carrée, c’est plus anecdotique. Le regard n’a pas besoin d’un complément de décor.
Paradoxalement, le fait que l’on perd cette dynamique apportée par le 24×36, cela offre des possibilités de construction photographique nettement plus importantes. Et intéressantes ! Car le champ de vision est élargi non seulement sur les axes horizontaux et verticaux, mais aussi sur l’axe de la profondeur avec les diagonales. Le regard peut prendre des directions variées, influencé uniquement par la composition.
La composition au format carré
Si les règles habituelles peuvent toujours s’utiliser, l’absence du sens vertical ou horizontal chamboule tout ! Il n’y a plus de sens de la lecture, au sens 24×36. Il faut organiser les formes, les lignes directrices, les différents plans dans un format carré. Contrairement à ce que l’on croit, le cadrage au carré est très enrichissant, justement par les contraintes qu’elle impose :
- Portrait ou paysage doivent être contenus dans un carré. Il faut apprendre à couper mentalement.
- Équilibrer le sujet principal par rapport aux autres présences dans la photo.
- Et surtout, penser carré, cela veut dire qu’il faut utiliser la visée au format 2×3 tout en faisant abstraction de ce qu’il y a autour. Nos viseurs et appareils reflex actuels ne prennent pas au format carré. Ce qui est nettement plus compliqué qu’on ne le pense. Surtout au vu des pratiques photographiques actuelles, où la vitesse règne en maîtresse absolue. On prend, on publie sur la toile et on oublie. On est passé d’une photo artisanale à une photo consommation de masse.
Ce qu’il y a de bien avec ce format, c’est qu’il permet beaucoup de choses différentes. On peut, par exemple, inscrire sa composition dans un cercle ou dans un triangle inversé. Et si on peut inscrire le sujet dans le cadre parfait du quadrilatère, on peut aussi jouer avec les décalages. Soit en utilisant les angles, soit en utilisant les diagonales, soit en coupant le sujet, ne laissant qu’une partie à l’intérieur du cadre.
Et quand on coupe, tout est permis. Si on peut utiliser le parallélisme pour couper, la règle des tiers peut aussi parfaitement s’utiliser.
Le photographe peut également jouer à accrocher son sujet où il veut. Sur un bord du cadre, en utilisant un bord et un coin, sur deux angles consécutifs ou en diagonale. Tout est permis. Seule votre imagination en sera la limite. Le tout est de pleinement assumer ses choix de construction.
Les angles, les diagonales, les lignes et les symétries permettent des jeux infinis dans votre composition. Surtout si on les associe à des formes circulaires ou triangulaires, ou que l’on y ajoute des courbes. Cela vaut aussi bien pour des éléments naturels ou urbains que pour l’humain. Les sujets de type portrait, gros plans, détails ou nature morte se prêtent à ce format.
Une des seules vraies règles qu’il faut garder en tête quand on veut faire des photos au carré, c’est qu’il s’agit d’une photo qui doit être organisée autour d’une construction géométrique. La composition doit être très soignée, car, en l’absence de sens de lecture qu’induit le format 2/3, le regard peut très facilement se perdre dans l’image en l’absence de point de repère. L’œil a besoin de se fixer sur le sujet principal. En l’absence d’un sujet fort, le cerveau sera noyé, il y aura confusion et la photo va perdre son sens. On évitera donc les foules ou les paysages.
Comment faire des photos au carré ?
Avec un smartphone, c’est souvent très simple, car une fonction permet de visualiser la photo au format carré. Côté reflex, c’est une autre histoire. Le Pentax K-1 a eu, dans des modèles de préversion, une fonctionnalité lui permettant de prendre vraiment une photo au format carré, avec un système visuel d’aide lors de la prise de vue. Pour diverses raisons, cette fonctionnalité n’a pas été maintenue dans la version définitive.
Pour faire un format carré, il convient donc de se tourner vers le post-traitement. C’est donc avec l’aide de vos logiciels (Lr, Photoshop, DxO et consorts) que vous allez pourvoir réellement fabriquer votre photo carrée. Avec l’outil de recadrage.
Le principal souci sera de retranscrire, au plus juste, la construction dans votre esprit au moment de la prise de vue. Avec un peu d’habitude, on est capable de jongler entre la construction de l’esprit et la construction en PT.
Malheureusement, cette construction a posteriori fausse largement la donne. Entre prendre une photo au carré avec un appareil qui le permet et la faire en PT, il y a un monde. Dans le premier cas, si le cadrage et la composition sont ratés, la photo carrée réalisée n’avait pas d’autre vie. En fabriquant l’image avec un logiciel, cela permet de rectifier sa photo, voire d’en changer complètement l’aspect et « fabriquer » une photo qu’on n’avait pas imaginée au départ.
Edit 21/09/2016 : Il semble que le Pentax K-1 reçoive prochainement un nouveau firmware (le 1.30) lequel permettrait la prise de vue au format 1:1, donc carré ! Si c’est le cas, ce reflex autorisera la prise de vue directe dans ce format. Une vraie révolution dont certains en profiteront. Exit donc le recadrage et retour aux fondamentaux de ce type de prise de vue. À suivre.
La photo au carré peut devenir addictive. Parce qu’elle permet des pratiques des plus intéressantes, où le sujet est le cœur principal de la photographie.
Crédit photo : fyve