Régulièrement, j’entends des choses qui me paraissent absurdes en matière de photo. Aujourd’hui, c’est la règle des tiers qui m’énerve. Voici pourquoi…
Il faut respecter la règle des tiers !
Combien de fois ai-je entendu cette litanie ? Combien de fois me suis-je fait massacrer, car ma composition ne respectait pas cette règle ? Trop, nettement trop. À croire qu’elle est sacrée, canonique, gravée dans la pierre, à l’instar des commandements de Moïse. C’est sans doute l’une des premières gravées dans la tête des apprentis photographes par des gens hautement qualifiés. En tout cas, il s’agit d’un principe à laquelle on ne peut échapper, que ce soit dans les clubs photos, les sites d’apprentissage de la photographie ou les vidéos YouTube. J’arrive à me demander si elle n’aurait pas des propriétés magiques, comme faire le ménage et la vaisselle.
En pratique, c’est quoi la règle des tiers ?
Il s’agit de dessiner 4 lignes, 3 horizontales et 2 verticales, séparant la vue en 9 rectangles (ou carrés) identiques. Ce qui est primordial dans cette règle, ce sont les 4 intersections.
Le principe est que, pour obtenir une bonne composition, le sujet principal du cliché doit placé sur au moins l’une des 4 intersections. Si ce n’est pas le cas, c’est-à-dire que le sujet ne s’y trouve pas, alors la photo est considérée comme mauvaise. Parce qu’elle ne serait pas équilibrée, parce qu’elle ne serait pas forte. C’est tout, on s’arrête là. La quasi-totalité des « commentateurs éclairés » s’arrêtera à ce point de vue technique, sans aller plus loin.
L’omniprésence de cette règle est telle, qu’elle est désormais visible partout, de la prise de vue (dans le viseur) à la Post Production (Adobe Lr la proposant dans son outil de recadrage par exemple, comme le montre le cliché à la une de l’article). Tout est fourni pour le photographe lambda « réussisse » ses photos.
On notera qu’à un moment de la vie de cette règle, elle s’est transformée. Le sujet peut être positionné sur l’une des lignes horizontales ou verticales. Désormais, on peut placer le motif principal n’importe où sur le cliché, tant qu’elle n’est pas pile poil au centre.
Son origine
Pour que cette règle soit tant ancré dans l’imaginaire collectif, c’est qu’elle doit reposer sur quelque chose de concret. De prime abord, elle serait dérivée de celle sur les rectangles d’or. Comme cette notion mathématique est complexe à expliquer pour le commun des mortels, elle aurait été simplifiée et remplacée. Sauf qu’en creusant, trouver son origine semble compliqué. En existerait-il une ?
En 1797, John Thomas Smith, dessinateur et antiquaire anglais, écrit un livre dans lequel il présume que, quand on dessine, découper en tiers l’image serait une bonne chose, car cela pourrait apporter une harmonie. Cet obscur auteur n’en est même pas sûr de ce qu’il avance. Avant John Thomas Smith et l’année 1797, impossible de dénicher une référence à la règle des tiers.
Si on cherche du côté de chez Léonard de Vinci, homme d’art et de science par excellence, on ne trouve rien. Étrange, non ? Mieux, en observant les tableaux de l’époque renaissance, période censée être pour les professeurs la source de la règle, celle-ci ne semble pas être très appliquée par les peintres de cette époque. Ou alors, en forçant le trait pour pouvoir faire coller la réalité à la règle.
On peut donc sérieusement s’interroger sur son existence. Et si vous doutez des propos, je vous invite à lire la suite.
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En examinant la fresque de Léonard de Vinci et le tableau de Botticelli, deux célèbres œuvres emblèmes de la renaissance, on ne peut pas dire que la règle des tiers soit une réalité. Car on est bien d’accord que les personnages principaux sont le Christ et Vénus. Enfin, c’est ce qu’il semble, non ? Ces deux œuvres sont marquantes de la réalité.
Si la règle des tiers existait à l’époque de la renaissance, elle aurait été appliquée dans ces 2 œuvres. Surtout par ces maîtres. Certes on peut arguer que le visage de Vénus serait sur la ligne horizontale du haut. Mais Vénus reste entièrement au centre du tableau. Et les lignes, ce ne sont pas les 4 points de référence. Est-ce la raison pour laquelle la règle des tiers s’est étendue aux lignes elle-même ?
En fait, tous les tableaux ou photos peuvent en appeler à de quelconques règles d’or, règle des tiers et autres spirales merveilleuses basées sur le nombre d’or. Il suffit de ne pas être regardant sur l’épaisseur des traits. Toujours pas convaincu ?
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Sur aucune de ces images, la règle ne semble appliquée. Et c’est le cas pour presque toutes les clichés des photographes célèbres comme Salgado, Cartier-Bresson, Ansel Adams, Doisneaux, Ronis et bien d’autres. Si on ajoute le fait que dans aucun de leurs écrits, interviews ou (auto) biographies ils ne font mention de cette règle, le doute est plus que nécessaire. Si la règle existait, alors elle serait appliquée, systématiquement.
Du grand n’importe quoi !
Ayant pu mettre la main sur des livres traitant de la composition photographique datant de l’époque argentique, je n’ai trouvé aucune allusion à la règle des tiers énoncée. On peut donc conclure que tout ce qui est rabâché par les bien-pensants du monde photographique n’est qu’une légende urbaine, un leurre. C’est le constat auquel je suis arrivé il y a quelque temps. Enfin, il y a plus de 5 ans.
Cette pseudorègle vous pousse plus à produire des images similaires, construites de manière identique et, au final, ennuyeuses ! Il faut arrêter de l’appliquer systématiquement. Il y a plein de clichés qui fonctionnent très bien sans cet artifice.
Il convient dès lors de s’interroger sur le ‘pourquoi‘.
La règle des tiers, un leurre ? Mais dans quel but ?
Tout revient à la composition
Au lieu de rester arcbouté sur cette pseudorègle, il vaut mieux s’intéresser à la composition de vos clichés. C’est quoi composer une image ? Il s’agit d’assembler divers éléments afin d’obtenir une scène harmonieuse à photographier. Ces éléments, plus ou moins nombreux, peu importe, sont les suivantes :
- Des formes nettes,
- Les lignes de fuites qui suggéreront profondeur et mouvement,
- Des volumes avec des contours favorisant le sujet,
- De la couleur (sans oublier que le noir et le blanc sont des couleurs !),
- Un contraste qui permettra de différencier les couleurs et les tonalités,
- Des textures.
Le photographe doit s’évertuer à trouver le bon angle, la bonne hauteur, la bonne perspective et la bonne profondeur de champ avant de déclencher. Une photo se réussit avant d’être prise. Il faut réfléchir à sa photo.
Un résultat de l’absence de culture photo
Malheureusement, aujourd’hui, on est pressé. On prend l’appareil et on shoote, sans se poser de questions. Avec comme résultat, des photos peu intéressantes. C’est pour pallier un manque de technique sur la composition que des gens ont sorti la règle miraculeuse des tiers. Laquelle vous permettra à coup sûr de réussir toutes vos photos, du moment que votre sujet est sur une des intersections. Enfin, c’est ce qu’on essaye de vous vendre comme salade.
En fait cette sacro-sainte règle des tiers n’est que le résultat d’une simplification à outrance de la composition. On en sait plus composer, donc on applique un truc simple, avec inondation dans la tête des gens du principe. Elle est rassurante. Si j’étais médisant, je dirais que les Américains ne seraient pas étrangers à ce mouvement. Ils ont besoin d’éléments réconfortants, et une guideline pour réussir à coup sûr ses clichés, cela représente quelque chose.
Une photo, c’est plus complexe que cela. Il convient de porter l’accent sur l’équilibre entre le sujet principal et le/les sujets secondaires. Le principe des tiers peut éventuellement aider à cet équilibre, mais en aucun cas ne le déterminer.
La question majeure que je pose aux personnes quand on fait une séance de critique photo est la suivante : « quel est ton sujet et est-il mis en valeur ? » En aucun cas ce ne sera : « as-tu respecté les tiers ? ». Pourtant de nombreux forums et clubs photo dézinguent ceux qui s’en écartent. Si ce n’est pas malheureux…
Quelques exemples
Le bateau
La première chose que l’on peut remarquer, surtout parce que je l’ai montré auparavant, c’est que les tiers sont grosso modo respectés. En effet, le centre du bateau se trouve à l’intersection de lignes.
Mais, quand j’ai composé mon image mentalement au moment de prendre la photo, j’ai pensé à autre chose :
- l’angle du bateau orienté vers la sortie du port et le large, formant ainsi une ligne de fuite,
- l’îlot en arrière-plan avec le poteau d’indication,
- le reflet de l’embarcation dans le peu d’eau restant (marée basse).
C’est le hasard qui voulut que les tiers soient (plus ou moins) respectés.
Le château
Ne cherchez pas s’il y a eu quelconque respect des tiers, par avance je vous annonce la couleur : pas de respect ! Non, le sujet est ici le château. Il est massif et prend presque tout l’espace. Par contre, j’ai soigné mon cadrage de manière à le prendre légèrement de bas afin d’avoir des lignes de fuite et un grand morceau de ciel bleu (en haut et à gauche essentiellement) pour contraster et mettre en avant l’édifice.
Le couple
Là encore, les tiers ne sont pas respectés. Les personnages sont au milieu de la photo, pile-poil. Que dire de plus ? Rien.
L’assemblée
Non, la ligne du pont n’est pas mon sujet principal. Ce dernier se trouve au centre de la photo. Il s’agit de l’Assemblée nationale et du photographe se trouvant devant. Le pont n’est présent que pour accompagner le regard vers le bâtiment. Pareil pour le lampadaire qui vient apporter ombres et lumières là où cela est nécessaire. Les contrastes permettent de mettre tous les éléments en valeur.
Vous l’aurez compris, ce diktat qui s’est imposé largement à partir du début des années 2000 dans le monde commercial et amateur, avec l’avènement du numérique grand public, est abusif. La pression des empereurs de la règle des tiers ne repose sur rien et ne devrait pas exister. C’est plutôt le signe d’un manque de savoir-faire, d’apprentissage de ce que doit être une photographie.
Essayer de réduire un cliché à un simple respect d’une règle des tiers montre un manque de culture photo. Et ce sont ces personnes qui décident qu’une photo est bonne ou pas dans les forums, sites web et autres… Triste.
Un photographe m’a inculqué que l’équilibre des éléments et le contraste entre les matières devaient être deux de mes guides principaux. Il a raison. Merci Roland.
Crédit photo : © fyve sauf précision contraire