L’argentique conserve un certain attrait aux yeux de nombreux photographes. Si au début du numérique, le procédé était encore balbutiant, ce n’est désormais plus le cas. Depuis quelques années, les boîtiers numériques sont devenus parfaits. Trop même. Ce phénomène s’est d’autant plus accentué que le tirage papier a baissé. La consommation de l’image se fait, désormais, essentiellement par écran interposé. Or, ce qui permettait d’obtenir des ressentis divers et variés, c’était bien ce qu’on avait mis à la poubelle. C’est-à-dire les produits de développements, les films et les papiers…
Pour de nombreux photographes, le rendu argentique est devenu synonyme de Graal. Beaucoup sont partis à sa recherche. Mais comment retrouver l’essence du temps argentique alors que le numérique a balayé tous les éléments constitutifs ? Si, pour certains, cela passe par un retour à l’argentique dès la prise de vue, pour d’autres, l’argentique va se chercher au travers du numérique. Il s’agit de mettre au service des développeurs, des outils capables de recréer ces rendus si particuliers.
Le concept argentique en numérique
Le rendu photographique
Un rendu, c’est la manière dont la restitution d’une photo va être effectuée. Toutes les étapes de la création d’une image vont participer au rendu final. La prise de vue, le matériel utilisé, la lumière et le support final.
Par exemple, soit une photo imprimée à la fois sur du papier brillant et sur du papier mat. Si on met la photo à l’écran et les deux impressions côte à côte, les trois visions de cette même photo seront différentes. On ne percevra pas la photo de la même manière. Ce seront trois rendus différents de la même image.
La consommation évolue
Le rendu clinique du numérique
Le défaut majeur que l’on peut reprocher au numérique est son aspect froid, avec des noirs intenses et des couples piqué/netteté à faire frémir de précision. Les images sont propres, excessivement propres. Les textures sont moins présentes, moins profondes, exemptes des « défauts » provoqués par les grains photographiques qui en faisaient l’essence. Les rendus obtenus sont froids, cliniques, ce que je nomme « photo de médecine légale ».
Le tirage sur support en perte de vitesse
En numérique, il suffit d’aller sur une borne permettant d’imprimer ou de relier à une imprimante pou obtenir une version en papier photo. Malheureusement, la photo se consomme désormais via un écran et uniquement ainsi. Exit le papier !
En argentique, si dans les années 80-90, les mini-labs permettaient d’obtenir des clichés « assez rapidement », il fallait compter au moins une bonne heure, dans le meilleur des cas. Pour un résultat tout juste acceptable la plupart du temps. Pour avoir mieux, il fallait s’adresser un artisan photographe, qui passait plus ou moins de temps à développer et à tirer selon nos besoins. Ou alors, on apprenait à faire soi-même. Combien d’ailleurs se sont mis à développer dans leur salle de bain ? Mais, malgré les défauts possibles, les images produites avaient une autre dimension. Avec les textures pleines et du grain argentique.
Il ne faut pas oublier que le développement et tirage papier avaient un coût non négligeable. Et que ces coûts avaient tendance à augmenter selon le résultat désiré. Sans compter l’achat de la pellicule. Là où l’on prend désormais une centaine de clichés sans se soucier de quoi que ce soit, avant, on se contentait la plupart du temps de 12, de 24, quelquefois de 36 vues.
Les smartphones et les logiciels façon Instagram
Les smartphones ont aidé à un retour des rendus argentiques. Avec l’iPhone sont apparus des logiciels permettant de reproduire des aspects d’anciennes photos. Et puis, certains réseaux sociaux ont popularisé les effets « anciens » en les remettant au goût du jour. Traitements croisés, grains, virages (Sépia, vert, or, argent, café, etc.) ou encore vignettage, cadre Polaroïd et autres effets très présents du temps du développement en chambre noire… sont de retour !
Instagram est sans doute le plus emblématique. Considéré par la jeune génération comme de l’innovation, Instagram n’a en fait rien inventé. Tout ce qu’il propose existait déjà. Il est paradoxal de penser que ce logiciel, permettant des prises de vues qui se rapprochent de ce que l’on pouvait faire du temps de l’argentique, rempote un tel succès. Lui, et pas nos appareils sophistiqués, si chers, mais dont le rendu est plus froid.
Peut-on penser que ce logiciel et le réseau social lié puissent engendrer une génération avide de telles reproductions ? Si cela devait arriver, ce serait une revanche du rendu argentique sur le rendu numérique.
Un fossé encore plus grand entre grand public et initiés
Des reflex encore complexes…
On peut aussi constater qu’aucun grand fabricant d’APN n’a sorti un appareil capable de reproduire des clichés avec ce type d’effets de manière simple laissant le marché à des constructeurs tiers.
Pourtant, les boîtiers récents sont puissants et capables d’appliquer des transformations complexes. Les fabricants ont bien développé des profils qui leur sont propres, voire des modes particuliers pour les paysages, la mer, le ciel étoilé et autres, qui sont en accès rapide (ou presque). Pourquoi ne pas avoir fait de même avec des rendus argentiques vintages ?
… pour certains utilisateurs,…
Le Pentax K-70, le plus récent reflex grand public de la marque propose bien des filtres numériques. Mais pour les utiliser, il faut entrer dans des menus et choisir les bonnes options. C’est trop contraignant et pas à la portée de tous. Pour la génération « Instagram », il faudrait un accès direct, avec des effets paramétrés (et imposés). Peu importent les noms utilisés. De plus, pour une part d’utilisateurs, ces fonctions sont exotiques et ne servent à rien, car ils savent effectuer leurs traitements avec leur ordinateur et les logiciels dédiés.
La génération « Instagram », pouvoir disposer de son image vintage très rapidement et l’envoyer dans tous les médias est une demande forte. Or, vu le rétrécissement important des ventes d’APN dans le monde, il faudrait penser autrement. Ces photographes sans envie de développer sont très nombreux. Il convient de leur apporter des réponses différentes de celles qui existent. Cela doit passer par des fonctionnalités à accès rapide et un écran tactile.
Mais il est peut-être déjà trop tard, le smartphone et ses fonctionnalités « instagramiennes » ayant ans doute gagné la partie. Faire revenir ces utilisateurs vers le monde du reflex n’est plus possible. Surtout quand on voit la qualité de plus en plus importante de la partie photo des smartphones.
Et les « initiés » ?
Les utilisateurs de reflex à la recherche de leur Graal peuvent se tourner vers des solutions adaptées à leur nouveau flux de travail. Il s’agit de logiciels qui vont permettre un rendu argentique aux images numériques.
La solution DxO Film Pack
Présentation
Disponible à un prix raisonnable, cet outil peut s’utiliser de manière indépendante ou au travers de logiciels tiers. L’intégration peut être totale, Film Pack devenant un outil du logiciel de derawtisation DxO PhotoLab. Elle est plus souvent partielle, Film Pack prenant alors sa place dans le process de développement sous la forme d’un plug-in externe. Ce dernier va gérer l’appel de Film Pack, le transfert du fichier vers ce dernier et son retour dans le flux de travail du logiciel principal.
Vous pouvez choisir d’appliquer uniquement le rendu d’un film argentique puis revenir dans le logiciel de traitement habituel et continuer le travail. Mais il est aussi possible d’effectuer entièrement le développement de l’image dans ce logiciel. Ce sera à vous de choisir votre façon de travailler.
Environ 80 rendus de films sont disponibles (des rendus de « designer » sont également de la partie), avec quelques pellicules très célèbres. L’achat est unique, même si DxO FP existe sous deux éditions. Une édition normale, moins chère, mais qui comporte moins de films et de rendus. Et une version élite, qui prend en charge les fichiers RAW.
Quelques exemples de traitement
Fuji Velvia 100 / Kodak Elite Color 200
Agfa Precisa 100 / Polaroid 669
Mini tutoriel
DxO Film Pack en tant que plug-in pour Adobe Lr va ouvrir une image dupliquée (et non l’image d’origine). Dans ce contexte, une duplication de l’image va être réalisée automatiquement au format TIFF ou JPEG, en tenant compte des corrections effectuées sous Lr. Cette nouvelle image sera ouverte dans Film Pack et, à l’issue de l’application d’un film, l’enregistrement de l’image sera intégré directement dans la bibliothèque Lr. Le fichier aura été, quant à lui, sauvegardé physiquement dans le dossier d’origine.
L’utilisation est ensuite simple, DxO Film Pack proposant (sur la partie droite), un ensemble de films argentique, couleur (négatif ou diapo) ou noir & blanc. Il ne vous restera plus qu’à choisir le rendu que vous souhaitez. Des filtres permettent un accès plus rapide aux différents rendus. Il est possible d’en mettre en favoris. De même, il est possible de créer son propre rendu, en partant par exemple d’un film existant. Différents outils sont disponibles permettant de modifier le rendu (changer le grain, le virage, l’exposition, la saturation, les effets graphique ou optique, etc.).
Les VSCO Films
Présentation
Cette solution est différente de celle préconisée par DxO FP et la suite de Nik Software, en s’inscrivant dans le flux de production de Lr. VSCO a recréé, sous forme de presets de développement, les caractéristiques de certains films. Quand on choisit un film argentique, les paramètres s’appliquent alors et on obtient un rendu similaire à ce qu’on aurait obtenu avec la pellicule. Seule « contrainte », faire la balance des blancs avant. Et éventuellement rééquilibrer l’exposition et le contraste.
Ces filtres sont uniquement fournis pour Adobe Lightroom et Adobe Camera Raw. Si VCSO a prévu une version standard de ses presets, ces derniers sont fournis également dans des versions dédiées pour les boîtiers Canon, Nikon, Sony et même Fuji. Pas de traces de version Pentax.
Il existe aujourd’hui 8 packs de films, dont un qui est une sorte de best of. Chaque pack est vendu de manière indépendante, ce qui peut alourdir la facture. Le prix pour ne pas créer de fichiers supplémentaires, et rester dans le flux de travail Lr.
On notera également que DxO FP et VCSO Films divergent sur les rendus. Si certains sont communs, il y a des différences dans les rendus disponibles.
À l’usage, cette solution est plus souple puisque l’on reste dans le flux de travail Lr. Mais elle impose ce logiciel (ou Photoshop) contrairement aux autres solutions.
Exemples de traitement
Aga Précisa 100 XP / Kodak Ektachrome 64T
Comparaison VCSO / DxO FilmPack
Alors que l’image d’origine est strictement la même, on se rend compte que le rendu est assez différent alors que VCSO et DxO Film Pack sont censés appliquer des caractéristiques fortement similaires puisqu’ils sont censés donner le rendu d’un même film, ici le Fuji Provia 100 F. Cette différence est troublante et pose la question de qui est le plus proche de la réalité.
Nik Software
Jusqu’au début juillet, cette solution présentait l’avantage d’être gratuite. Avec la nouvelle version proposée par le racheteur DxO, la Nik Collection redevient payante, tout en restant accessible. Sans doute le prix a payer pour avoir un produit enfin mis à jour alors que le précédent propriétaire abandonné tout développement du produit depuis le rachat, tout en le rendant gratuit.
Dans cette suite, seuls certains logiciels sont concernés par cette possibilité. Il s’agit d’Analog Efex et de Silver Efex essentiellement. Le premier logiciel, comme son nom le mentionne, est même dédié au traitement analogique, couleur ou noir & blanc. Contrairement à la concurrence, il ne propose pas de films argentiques connus (il me semble que c’était le cas avant le rachat). Le second logiciel est lui dédié au traitement N&B.
Analog Efex
Un grand nombre d’outils sont disponibles pour donner à vos clichés un aspect argentique. Cela va d’un choix du type de films (chaud, froid, délicat, etc.) au vignettage en passage par les ajouts de poussières, ratures et autres poussières. Son seul attrait reste la possibilité d’utiliser les U-Points. Ces derniers permettent d’appliquer les outils sur une partie de l’image. C’est tout. Cet outil ne ma jamais paru très attractif et intéressant. Néanmoins, il garde un côté ludique avec la possibilité d’ajouter des poussières, des fuites de lumière.
Silver Efex
Sans doute le seul logiciel de cette suite qui vaille encore le coup… Du moins pour mon usage ! Autant les précédents cités s’utilisent aussi bien en mode Couleur que N&B, autant SilverEfex ne produit que des images N&B. Mais il le fait très bien.
L’aspect analogique est apporté par la possibilité d’utiliser l’un des 18 films argentiques N&B, négatif ou inversible. C’est tout ? Certes, mais comme on peut influer sur le grain, la proportion des couleurs et quelques autres réglages divers, il y a largement de quoi faire. Sans compter les U-Points qui permettent d’agir sur une partie spécifique d’un cliché. Ce logiciel offre des perspectives intéressantes en termes de développement proche de l’argentique.
Les presets de développement « tout fait »
À peu près tous les grands logiciels offrent la possibilité de créer ses propres presets de développement. Cela a permis à des utilisateurs d’en concevoir pour la communauté. Certains sont gratuits, mais les meilleurs sont souvent payants. Ils sont nombreux sur internet et faciles à trouver. Par contre il vous faudra tester. Beaucoup. Et ne retenir que ceux qui en valent la peine.
Devant l’abondance de l’offre, on est parfois submergé. Et découragé, car la qualité n’est souvent pas au rendez-vous ! Alors, bon courage.
Le numérique règne désormais en maître dominateur ; pourtant, son règne n’est pas absolu et sans partage. Beaucoup souhaitent retrouver le côté humain et parfois artisanal de la photo. L’argentique, quelle qu’en soit la forme, n’a pas dit son dernier mot. Et ce n’est pas plus mal.
À suivre…
iconographie : © fyve – Photo originale prise à La Ciotat avec un K-1 II et l’objectif DFA 24-70/2.8 – 1/32s à f/11, ISO 100