Le numérique, c’est génial. Il suffit d’appuyer sur le déclencheur et on obtient une image. Certains diront que c’était comme cela du temps de l’argentique. Si effectivement, c’est vrai pour l’appui sur le déclencheur, c’est complètement faux pour la suite du processus. Une différence qui se verra dans les rendus. Pour de nombreuses personnes, cela n’aura pas d’importance, le rendu numérique leur convenant parfaitement.
Mais pour d’autres, nostalgiques de l’argentique, cela se traduira par un retour aux sources. C’est ainsi que dans la rue, en studio, des boîtiers argentiques se croisent. Et, même si les fabricants sont de moins en moins nombreux, la production de films continue. Certains sites de crowfouding voient fleurir des projets de films argentiques, souvent des recréations d’anciens brevets.
Argentique et numérique
La perte de repères lors des prises de vue
Le numérique a enlevé quasiment toutes les contraintes de l’argentique. Résultat, on a perdu le sens de la composition, le sens du moment important. Il fallait éviter de gâcher la pellicule. Donc on soignait les prises de vues. Dans les années 70/80, pour avoir LA photo d’un but ou du passage sur la ligne d’arrivée, il fallait connaître comment cela allait se dérouler. Anticiper, connaître, regarder, s’imprégner. Désormais, des boîtiers proposent un mode rafale à 10 ou 15i/s (ce que proposent les boîtiers haut de gamme professionnel). Sans compter ceux qui disposent d’une myriade de boîtiers sur la ligne d’arrivée d’un 100m… ou derrière une cage de but lors d’un match de coupe du monde !Le cliché devenant alors immanquable.
L’argentique impose une réflexion, une démarche avec des choix à effectuer aux différentes étapes de la photo. Choix du format (6×6, 6×7, 24×36 ?), choix de la couleur ou du noir & blanc, choix des produits utilisés lors du développement. Sans oublier la composition, le cadrage ou l’équilibrage des éléments composant une image. Autant d’aspects qui sont très loin des préoccupations actuelles. Désormais, on appuie sans se soucier du reste. D’ailleurs, la plupart se contentent souvent de leur smartphone, derrière lequel s’est créée une économie dédiée comme les imprimantes et autres logiciels.
Le numérique facilite tout. Plus de questions à se poser. On met le boîtier en mode Auto et on déclenche. Sans fin. Les seules limites étant l’espace disponible sur la carte mémoire et la batterie. En contrepartie, le développement basique est standardisé et souvent plus froid, plus aseptisé.
La perte des repères lors du développement et du tirage
En argentique, nombreux étaient les éléments qui influaient sur le résultat final. Ce qui offrait une grande variété de résultats possibles. Pêle-mêle, en voici une liste non exhaustive :
- Le choix du film. Négatif ou Positif (diapo) ? Couleur ou Noir&Blanc ?
- La marque de la pellicule. Kodak, Fuji, Ilford, Agfa et les autres avaient tous leurs particularités propres, avec des formes de grains différents.
- La sensibilité.
- Les produits servant au développement et les additifs complémentaires : métaux comme l’or et l’argent.
- La façon de développer (les durées, les températures).
- L’utilisation de l’agrandisseur.
- Le papier.
Aujourd’hui, le développement est fait par l’APN (pour les images JPEG) dans la grande majorité des cas. Quant au tirage papier, quand il y en a, il est fait par des prestataires qui travaillent en flux continu avec un réglage standard.
Les prémices d’un renouveau ?
Un vent de fraîcheur souffle sur la photo. Ce monde qui a perdu tous les repères traditionnels voit revenir le traditionnel au galop. Instagram a remis au goût du jour des effets anciens que l’on croyait perdus (grain, virages sépia ou vert, vignettage, cadre, etc.). Étant donné que les fabricants n’intègrent pas ce genre de traitement dans leur boîtier (ou seulement de manière partielle), on est en droit de penser que le futur s’orientera dans plusieurs directions :
- Traitement postproduction qui ne concernera que les amateurs éclairés et pro. À qui cela ne pose pas de problème, puisque déjà habitué aux traitements.
- Intégration de différends rendus argentiques, soit dans des reflex grand public de manière simple, soit dans les smartphones qui vont augmenter leur avance de ce point de vue sur les premiers.
- Un retour de la photo totalement argentique.
L’argentique au service du numérique
Alors que le numérique tente parfois de se mettre au service de l’argentique, l’inverse s’est développé. Pour le tirage papier ! Car tant que les images restent uniquement sur un ordinateur et ne sont vues que par l’intermédiaire d’un écran, cela n’a aucun intérêt. Car le jet d’encre garde le côté froid du numérique. Même si, il faut le reconnaître, après un développement de type argentique (cf. article « Le numérique au service de l’argentique« ), il y a déjà du mieux.
L’idée est de tirer à l’ancienne avec une sortie sur papier, à partir de fichiers informatiques. Cette pratique est possible et de nombreux photographes y ont recours…
Le rôle du tireur
Si en argentique, le photographe avait une part énorme dans la photo, le tireur, souvent pas la même personne, avait aussi un rôle à jouer. Le tireur était là pour interpréter le regard et les intentions du photographe, avec ses indications bien entendu. Cette profession s’est rétrécie, mais conserve néanmoins tout son attrait. Certains comme Dominique Granier ou Nathalie Loparelli sont des maîtres. Ils sont capables de tirer à l’ancienne, à partir de clichés numériques. Des photographes comme Salgado et d’autres font appel à leur talent. Ils en existent d’autres qui tirent « moderne », au travers d’imprimantes actuelles, en jet d’encre la plupart du temps. Mais il faut apprendre à tirer.
Il faut apprivoiser son matériel afin d’en tirer la quintessence. Que ce soit au travers d’un développement traditionnel (les bains chimiques) ou numérique (Lightroom, Capture One, Photoshop et consorts), faire du bon travail demande du temps. Des efforts. Tirer s’apprend. Il faut pratiquer, beaucoup. Et surtout savoir ce que l’on veut. Ce qui est parfois le plus compliqué.
D’un fichier numérique à un tirage sur papier argentique
Il existe divers procédés possibles. Nous vous proposons deux solutions accessibles, plus ou moins facilement, à tous les utilisateurs.
Le procédé Lambda
Le tirage en utilisant le matériel Lambda. Ce tirage est réalisé à partir de fichiers numériques, sur de nombreux papiers argentiques. Ce procédé est accessible pour des photos couleur et noir & blanc (comme le papier baryté). Cette technologie agit individuellement sur la chromie, la densité et le contraste. Elle nécessite une machine particulière et donc pas accessible aux particuliers. À partir d’un fichier numérique, des faisceaux laser vont exposer l’image sur du véritable papier photo argentique, pixel par pixel. Ensuite, le papier photo passe dans la développeuse avec les étapes classiques d’un développement argentique que sont la révélation, la fixation ou le lavage.
On obtient alors des tirages papier très proches de ce que l’on pouvait obtenir « avant ». En France, des sociétés comme CentralDupon ou Picto proposent cette technique.
Un tirage papier sous cette forme revient, pour un 40×30, à une quinzaine d’euros environ.
L’internégatif et agrandisseur
Le principe est assez simple. Il suffit de produire un négatif à partir d’un fichier numérique (sous Photoshop par exemple) et de l’imprimer sur un support transparent. Il suffira ensuite de mettre ce support transparent dans un agrandisseur. Dès lors, on rejoint le processus de développement argentique traditionnel.
Le premier problème de cette méthode est que l’internégatif ainsi produit doit être utilisable dans un agrandisseur. Or, ces derniers ne vont pas pouvoir utiliser une source au format A3, voire même A4. Non, l’internégatif devra être de petite taille. Et une taille de 24 par 36 mm, c’est tout petit. Il faudra que votre imprimante (laser, jet d’encre, pies-charbon) soit très performante pour imprimer et permettre tous les détails dans une aussi petite surface. Si vous avez de la chance, vous trouverez sans doute un agrandisseur autorisant les tailles 6×7, voire 6×9 (Meopta Magnifax 4 ou Durst M805) ou 4×5″ (Durst Lab 1200). L’internégatif étant plus grand, il sera plus simple à imprimer.
Sans compter qu’il conviendra de trouver le papier transparent adéquat !
Ce procédé est similaire à celui empilé par le photographe Sebastião Salgado.
L’internégatif avec imposition
Le principe est assez similaire. Il s’agit toujours de produire un négatif à partir d’un fichier numérique et de l’imprimer sur un support transparent (jet d’encre). Par contre, l’internégatif ainsi produit est à la dimension finale de la photo à produire. On agira ensuite par contact sur des papiers argentiques traditionnels. L’internégatif est mis en contact avec le papier photo, le tout sous une lumière adéquate (type lampe d’architecte avec ampoule de 70/100 W).
Ensuite, c’est le parcours classique du développement photo qui s’accomplit avec les bains (révélateur, eau et fixateur).
Pour le N&B, ce procédé est relativement peu coûteux, car il ne nécessite qu’une vitre d’un minimum de 6 mm d’épaisseur (ou une contacteuse), une ampoule opaline (70-100W), trois cuves dédiées (révélateur, bain d’arrêt et fixateur) et les chimies idoines (le vinaigre blanc faisant souvent office d’arrêt). Le plus compliqué sera de trouver le papier photo et les révélateurs qui vous conviennent et ensuite d’effectuer un certain nombre d’essais pour trouver votre meilleure procédure de tirage (temps de contact, temps au révélateur et surtout, trouver votre chimie). Par contre, une fois votre procédure trouvée et peaufinée, rien ne s’opposera à vos tirages argentiques !
Pour votre internégatif, vous pouvez utiliser un papier transparent comme le Fotospeed Digital Contact Film 80µ.
Le retour de l’argentique
Si les effets argentiques sur des fichiers numériques sont une voie empruntée par les générations actuelles de photographes, il en existe une autre qui, elle aussi, est tendance. Il s’agit, tout simplement, du retour en grâce des appareils argentiques. Évidemment, cela ne concerne que les amoureux du tirage papier.
Appareils photo traditionnels et pellicules à développer
Même si les appareils photo argentiques ne sont plus fabriqués, si ce n’est de manière confidentielle, le marché de la pellicule ne se porte pas si mal que cela. Certes, progressivement, les marques abandonnent la production. Mais il existe quelques irréductibles qui continuent à fabriquer.
Ilford, par exemple, avec quelques références comme la FP4 Plus 125 (idéal pour les débutants, car simple de développement). Où encore, la Pan F Plus 50, utilisable aussi bien en négatif qu’en inversible et dont le contraste peut aller de fort à modéré selon les révélateurs. Chez Fomapan, autre fabricant, des pépites comme la 100 Classic. Cette pellicule Noir&Blanc, née au début des années 1990, est toujours disponible. De type panchromatique à grain fin, elle se développe facilement. Et surtout, dans des sensibilités comprises entre 50 et 400 ISO. Appréciable ! On l’utilise essentiellement pour des paysages ou en studio.
Des pellicules couleur de marque Kodak (UltraMax, Gold, Ekta), Fuji (Superia, XTra) ou encore Agfa (Vista Plus) sont également encore en vente.
Le concept Polaroïd
On cadre, on clique et la photo sort de l’appareil. Cela ne vous rappelle rien ? Et pourtant, il y a 40 ans, ce drôle d’appareil s’appelait Polaroïd ? Le vulgarisateur de la consommation instantanée de l’image photographique.
Des années plus tard, c’est Lomography qui a su faire son trou, proposant films et surtout ses Lomo’Instant. Ces derniers sont des appareils photo instantanés, basés sur les films Fuji Instax. Car Fuji continue de fabriquer des pellicules, des films et des appareils photo instantanés.
Le concept de Polaroïd n’est pas mort et enterré ! La marque existe toujours, avec des produits adaptés aux modes d’aujourd’hui. C’est à dire des produits proches des Lomo et autre Fuji. Et des Apps pour smartphone ! On y revient.
À l’orée des années 2020, la photo continue d’évoluer. Si le numérique a conquis la planète, l’argentique n’est pas mort pour autant. Il a survécu, soit au travers d’applications numériques, soit au travers de la pellicule. Mais désormais, à côté de ce clivage traditionnel est apparu un nouveau fossé. Ceux qui vont consommer l’image uniquement au travers d’un écran et ceux qui auront toujours besoin d’une sortie physique, peu importe sur quel support. De chaque côté on retrouvera les différents protagonistes, les argentiques purs et durs, les numériquo-argentiques et les numériques purs et durs.
Et vous, où êtes-vous ?