Noir & Blanc, généralités

De l’argentique au numérique, le Noir & Blanc (souvent écrit N&B) reste une discipline prisée et surtout considérée comme plus facile que la couleur. Dans les faits, il n’en est rien. Il s’agit principalement d’un choix artistique volontaire du photographe. Mais selon quels critères ? Toutes les photos peuvent-elles être développées en monochrome ? Comment les traiter ?

Parlons un peu du Noir & Blanc, de son mystère, de sa magie et de son côté intemporel.

Une culture Noir & Blanc

Un peu d’histoire pour commencer. Même si c’est le nom de Daguerre que l’on retient pour les débuts de la photographie en Noir et Blanc en 1839, c’est en réalité à Niepce que revient cette invention en 1826/27 ! Quelques années plus tard, en 1869, les premiers procédés couleurs font leurs apparitions, même s’il faudra attendre l’autochrome des frères lumières en 1903 pour que la photographie en couleurs devienne plus simple d’utilisation. Puis patienter encore une cinquantaine d’années pour qu’elle supplante sa sœur N&B. Pour des raisons techniques et financières essentiellement, le monochrome a eu une vie facile pendant longtemps. La photographie a donc été monochrome longtemps.

En France et ailleurs, de nombreux artistes comme Cartier-Bresson, Brassaï, Doisneau, Ronis et d’autres s’en sont emparés afin de l’imposer comme relais d’une vision humaniste, riche de vie et d’ambiance. En Amérique, le N&B a dessiné au travers des clichés de Walter Evans, de Robert Franck ou de Charles Harbutt, des portraits d’une Amérique en crise.

Plus près de nous, des photographes très importants comme Lucien Clergue, Jean-Loup Sieff, ou encore Sebastião Salgado ont pérennisé cette discipline, montrant qu’elle était capable de grandes choses dans d’autres domaines, comme le nu, le paysage ou l’animalier.

Le grand mérite de la photo en Noir & Blanc reste le côté intemporel. Elle ne se démodera pas au gré des évolutions de goût. Un trait de caractère qui empêchera de la dater, sauf à regarder l’habillement par exemple, contrairement à la photo couleur dont le traitement sera spécifique à chaque époque. Trouver la couleur « juste » n’est pas chose aisée (la bonne température, le bon bleu, le bon vert, le bon rouge, le bon jaune, etc.). La vérité couleur du jour du développement ne sera pas la même dans un an ou dans 5 ans.

Oublier la couleur

Mais faire une photo en Noir & Blanc n’est pas aussi simple que cela. Elle doit être pensée comme telle. Si, développer une photo en N&B pour « tester le résultat » peut parfois aboutir une conclusion heureuse, cela révèle du hasard. Les meilleurs résultats sont obtenus quand on pense, quand on « voit » la photo en Noir et Blanc dès le départ. Donc à travers le prisme, lors du cadrage, de la composition, sans l’information « couleur ».

Cette visualisation peut sembler aberrante. Parce qu’elle n’est pas naturelle, l’œil humain voyant en couleur. Sans compter qu’elle est présente lors de la prise de vue. Certes, on peut désormais prendre une photo directement en NB avec un boîtier numérique, mais uniquement au format JPEG. Le RAW lui conserve toutes les informations, y compris les informations couleur.

Il s’agit donc de penser la photo en N&B, de faire abstraction de la couleur. De se demander à quoi va ressembler sa photo en N&B. Le processus habituel de la prise de vue (cadrage, lumière, contraste) ne change pas. Il convient de réfléchir à ce que va donner la photo sans la couleur. Et composer alors avec.

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la même image, version couleur / version noir & blanc

la même image, version couleur / version noir & blanc

Dans cet exemple, la photo couleur paraît banale. Un arrosage particulier provoquait du brouillard artificiel et le soleil, à travers les arbres, produisait une certaine lumière. Après un traitement N&B adéquat, la même image revêt un caractère quelque peu fantasmagorique.

Comment se préparer dès la prise de vue ?

Toutes les photos ne se prêtent pas au N&B. Les raisons sont multiples, mais le résultat est le même, l’image obtenue apparaît chargée ou complètement délavée, difficilement acceptable par l’œil humain. On se rend très vite compte que tout va se jouer sur les contrastes et les textures. Car, nous l’avons déjà dit, une photographie est construite à partir d’éléments comme la structure, les textures, le contraste, la lumière, les lignes, le tout formant un ensemble graphique agencé.

Oublier le N&B du boîtier

Il existe des APN qui prennent des photos qu’en N&B. Ce seront, par exemple, les Leica M (pour Monochrome). Mais il convient d’être doté d’une confortable assise financière pour pouvoir les acheter, les prix Leica pouvant parfois paraître excessifs. Néanmoins, il conviendra de reconnaître que la marque sait concevoir et fabriquer des modèles d’exception.

Hormis de posséder du Leica M, sauf cas exceptionnels, utiliser le mode N&B que propose votre boîtier n’est pas forcément recommandé. D’abord parce que c’est lui qui fixe arbitrairement la façon dont le N&B va être façonné (et cela peut s’avérer souvent mauvais), ensuite parce qu’il produira un fichier en JPEG et donc moins favorable à d’éventuelles retouches. Sauf si vous prenez vos photos en RAW+JPEG, ce qui est le premier cas exceptionnel, car vous conservez alors le fichier brut originel qui vous permettra de travailler en PT. Le deuxième cas de figure est quand vous concevez votre propre traitement N&B au sein du boîtier (Pentax propose les modes USER et rien ne vous empêche de créer un mode User dédié au N&B).

Un développement monochrome repose sur une subtile alchimie entre les contrastes et les dosages dans les mélanges de chaque couleur afin de créer la panoplie de nuances de gris qui apportera profondeur et équilibre. Si vous laissez votre boîtier décider, il y est possible que le résultat produit ne soit pas harmonieux et/ou en accord avec vos choix.

Utiliser le RAW

Le format RAW est le seul format « standard » qui vous laisse toute la latitude nécessaire lors du développement. Plus vous disposerez d’informations, meilleurs seront les mélanges des différentes couches de couleurs, meilleurs seront vos dosages de luminosité et de contraste.

Le JPEG ne vous fournira que 256 nuances pour chacune des 3 couches couleur (le rouge, le vert et le bleu). Le RAW vous en fournira 4096 si c’est le mode 12 bits et 16384 si c’est en mode 14 bits. Certes, cela n’est pas facile à comprendre et surtout à mettre en évidence, mais lors de la conversion, l’image subit de fortes modifications dans les tonalités. Plus vous disposez de nuances, moins vous aurez de pertes d’informations qui se traduiront par des effets de postérisation dans les dégradés.

La postérisation se produit quand la profondeur des couleurs est insuffisante pour permettre une gradation visuelle des couleurs. Cela se traduit alors par des variations de couleurs discontinues.

à droite, image souffrant d'un effet de posterisation
à droite, image souffrant d’un effet de posterisation
De la composition

Composer une image, c’est assembler divers éléments afin d’obtenir une scène harmonieuse à photographier. Les éléments, plus ou moins nombreux, peu importe, sont les suivantes :

  • des formes nettes,
  • Les lignes de fuites qui suggéreront profondeur et mouvement,
  • des volumes avec des contours favorisant le sujet,
  • de la couleur (sans oublier que le noir et le blanc sont des couleurs !),
  • Un contraste qui permettra de différencier les couleurs et les tonalités,
  • des textures.

Le photographe doit s’évertuer à trouver le bon angle, la bonne hauteur, la bonne perspective et la bonne profondeur de champ avant de prendre sa photo. Une photo se réussit avant d’être prise. Il faut réfléchir sa photo.

Les principes structurants

La construction d’une photo se fait à partir d’un certain nombre de principes qui sont les suivants :

  • la géométrie avec la règle des tiers (ou celle que je préfère, la règle du rectangle d’or), la place de l’horizon, les diagonales et les différentes lignes, sans oublier le sens de la lecture ;
  • l’équilibre des volumes, des masses, des couleurs, la répartition des espaces sombres par rapport aux espaces clairs ;
  • la mise en scène des plans, des mouvements.
Les textures
  • Certaines textures s’adaptent très mal à un passage en N&B, à l’instar de l’eau dont les reflets sont compliqués à traiter.
  • Présence trop importante de textures similaires.

 

Les reflets de l'eau de la Seine perturbent l'image et la rendent peu agréable à visualiser.
Les reflets de l’eau de la Seine perturbent l’image et la rendent peu agréable à visualiser.

 

Il va donc falloir faire attention aux textures et leur dominante. Cela ne veut pas dire qu’il n’en faut pas. Au contraire, des paysages avec des nuages donnent d’excellents N&B.

L’impact de vos photos sera plus important si vous tenez compte de certains points comme la texture et les formes. Sans compter que certains objets ou scènes seront plus faciles à transcrire que d’autres. Le bois, la pierre, les feuilles, la peau, le ciel permettent un meilleur rendu que l’herbe, un feuillage vert excessif, les étendues d’eau.

Le contraste

La couleur permet de séparer différents éléments, de guider le regard dans l’image. En son absence, il va falloir compenser en jouant avec les tons clairs et les tons foncés. Dès lors, il faudra éviter les scènes où les couleurs sont dans la même plage de tons. Les lumières fortes et les ombres seront vos amies, car elles vous permettront de jouer avec les contrastes et obtenir du relief. Par exemple, les scènes éclairées d’un seul côté permettront des choses intéressantes.

Il y a trois catégories de contraste :

  • Élevé : L’image est composée presque uniquement de noir et blanc, avec très peu de gris.
  • Normal : L’image est composée de manière équilibrée de noir, de blanc et de gris.
  • Faible : L’image est composée de noir, de blanc et gris, mais il y a de faibles écarts entre elles, ce qui la rend souvent plate.
image à contraste élevé, avec très peu de gris
image à contraste élevé, avec très peu de gris
 
L’éclairage

En extérieur, les premières et dernières heures du jour sont les meilleures pour faire de la photo. Les lumières sont douces et agréables, contrairement à celle du milieu de journée. Elles permettent des photos avec des textures agréables à traiter. C’est vrai pour la couleur et c’est vrai pour le Noir & Blanc.

 
image à contraste normal, avec une lumière douce et des textures comme les nuages
image à contraste normal, avec une lumière douce et des textures comme les nuages

 

En intérieur (en studio par exemple), ce sera identique. Les lumières douces vont adoucir les visages, gommer les rides. A contrario, si on veut faire ressentir les rides, il faudra durcir la lumière.

Le traitement en N&B

Comme vous l’avez compris, une photo se réussit en amont, au moment de la préparation de la prise de vue. Que ce soit pour des photos en couleurs ou pour des photos en N&B. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de post-traitement, de développement. C’est juste qu’une photo ratée ne pourra pas devenir un must en post-traitement. La photo, c’est vous, votre œil, les principes et votre audace à aller au-delà.

Comme indiqué précédemment, une photo monochrome ne doit pas être prise directement à partir du boîtier. Il faut privilégier le post-traitement, car vous obtiendrez de bien meilleurs résultats à effectuer vous-même la conversion.

Tous les logiciels qui vous permettent de développer (de Lightroom à Photos, de CaptureOne à DXO) vous proposent des options pour « fabriquer » du Noir & Blanc. Il existe même des logiciels spécialisés comme SilverEfex. Sans compter qu’on peut trouver des presets de développement (comme « À la façon d’Ansel Adams » ou « À la façon de David Hamilton ») pour LR sur la toile.

Pour chaque photo, le processus reste le même. Après importation des photos, il faut s’occuper de l’exposition, parfois la rectifier. Ensuite, il faut ajuster le noir. Et, après un recadrage si besoin, commence le développement en N&B.

Avant d’en finir…

Les règles existent. Il faut s’en imprégner, les connaître jusqu’à qu’elles fassent tellement partie de soi qu’on n’y pense même plus quand on prend des photos. Mais vous ne commencerez à faire des photos intéressantes que quand ces règles ne seront plus un carcan, quand vous les dépasserez tout en respectant l’esprit et non la lettre. À trop les respecter de façon rigide, vous perdrez la vision d’ensemble.

La photo s’apprend par expérience. Allez sur le terrain, faites des photos. Faites ensuite vos propres « presets » de développement. Forgez-vous votre expérience, prenez des risques, amusez-vous. La photo doit rendre joyeux, pas triste.

 

Crédit photo : fyve – cliquez sur les photos pour agrandir

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