Photokina 2018, une nouvelle donne ?

Il est fort possible que, dans quelques mois, la seconde Photokina 2018 devienne un évènement symbolique dans le monde de la photographie. Certes, il est encore trop tôt pour l’affirmer de manière péremptoire, mais tout porte à croire que nous assistons à une nouvelle transformation du marché. Ce dernier est en profonde mutation depuis quelques années. Après une décennie faste, de 2000 à 2010, le marché n’a cessé de reculer sous les coups de boutoir des smartphones, toujours plus performants. Sans compter les nouveaux loisirs créatifs que sont les drones et leurs contributions aux prises de vue moins classiques ! Avec cette Photokina 2018, nous avons vu peut-être la passation réelle de pouvoir entre le reflex et l’hybride.

Photokina 2018 : l’hybride prend son envol

Jusqu’à présent, si l’hybride avait réussi à trouver sa place sur le marché grâce essentiellement à Sony, Panasonic et Fuji, le gros des acheteurs ne s’était pas encore déporté vers ce nouveau type d’appareil. Il est possible que l’absence réelle de Canon et Nikon sur le marché en soient la cause. Mais pas forcément dans le sens où l’on croit.

Une nouvelle approche de la part de Canon et Nikon

Les Nikon Z6 / Z7 et le Canon ne sont pas les premiers hybrides de ces marques. Mais ce sont les premiers à réellement concurrencer le Reflex FF. J’ai souvent entendu et posé la question « Qu’est-ce que Pentax, Nikon et Canon attendent pour sortir un hybride digne de ce nom ? Que Fuji, Sony et quelques autres se soient approprié tout le marché ? On va finir par perdre totalement de la visibilité« . Et sans visibilité, les marques ne vendent plus.

Pourtant, les tentatives n’ont pas manqué. Pentax a tenté un K-01, un hybride massif resté unique ou encore la gamme Q. Nikon a, quant à lui, proposé son concept « Nikon 1 ». Des tentatives qui ont fait long feu avant d’être enterrées en catimini. Avec la gamme Z pour Nikon et la gamme EOS R pour Canon, la photographie entre dans une nouvelle étape de sa vie. Car nous sommes en train d’assister à la fin de la visée reflex qui a fait notre bonheur depuis tant d’années.

 

Un des nouveaux Z à coté du D850
Un des nouveaux Z à côté du D850
Le premier né de la nouvelle ligne Canon EOS R
Mettre le miroir à la retraite

Le miroir est un défi technologique permanent, surtout quand on veut augmenter les cadences de prises de vue. Parce qu’il faut un mécanisme très résistant et très rapide pour atteindre des rafales de 10 images/seconde. Supprimer le miroir, c’est supprimer plein de problèmes. Tout en apportant d’autres, certes, comme la visée numérique et les EVF pas au top. Il s’agit là du principal défi des hybrides, à savoir proposer une visée numérique digne de la visée reflex… Sans abîmer nos rétines et nous faire pleurer pour cause d’images inconfortables. Or la fatigue de l’œil est l’aspect primordial qui nous fera adopter ou pas ces nouveaux boîtiers.

Si les constructeurs arrivent à offrir une vision confortable reposante, tout en proposant une visée en temps réel qui restitue directement les paramètres de votre prise de vue (comme l’ouverture), alors ils auront fait le premier pas vers la victoire. Ceux qui ont pu tester ces boîtiers sont formels, le but est presque atteint. Si on ajoute le fait que l’autofocus a été grandement repensé pour les deux marques avec un nombre de collimateurs de folie, on peut dire que de futurs best-sellers sont nés. Nonobstant le ticket d’entrée qui sera pour beaucoup rédhibitoire ! Car, si le boîtier nu est cher, n’oublions pas qu’il faudra aussi changer les objectifs. Ce qui implique de débourser beaucoup d’argent afin de se rééquiper.

Je mettrais néanmoins un bémol à l’EVF. Si certes il a fait de très gros progrès ces dernières années, je reste dubitatif sur les effets secondaires sur la rétine humaine et notre vue. L’EVF, c’est tout de même regarder un écran à quelques millimètres de l’œil. D’un point de vue médical, il y a de quoi se poser d’importantes questions.

L’annonce de Panasonic et l’alliance surprise de la monture L

Les premiers hybrides micro 4/3 de Panasonic sont apparus il y a environ 10 ans. C’est le temps qu’il aura sans doute fallu à Panasonic pour atteindre les limites du format et des capteurs, tout en préparant l’avenir. Car ce type de changement est long. Il faut souvent plus de 2 ans pour développer un tel projet. L’avenir, la firme le voit ailleurs, se lançant dans la bataille du plein format hybride, à la conquête du même marché visé par Sony, Nikon et Canon. Panasonic ne part pas seul à l’assaut puisqu’une alliance un peu surprenante s’est formée avec Leica, son partenaire depuis 2001, et Sigma.

Panasonic lance ses S, des hybrides FF à monture L
Panasonic lance ses S, des hybrides FF à monture L

 

La vraie information se trouve dans la conférence tenue par ces 3 acteurs. Panasonic adapte la monture L de Leica pour ses hybrides F tandis que Sigma en fait de même. Le résultat est l’annonce d’une nouvelle ligne d’objectifs Art et Contemporary en monture L et un futur boîtier basé sur un capteur Foveon FF. Avec cette annonce, ces 3 marques affirment leur position, à savoir prendre une part du gâteau émergent. 3 marques, 3 lignes de boîtiers et surtout une force de frappe rapide dans la commercialisation d’objectifs. En se partageant correctement les sorties, Leica, Panasonic et Sigma peuvent rapidement répondre aux différentes demandes du marché.

Selon les infos distillées, l’alliance serait fermée, même s’il existerait un quatrième investisseur « secret ». On murmure aussi qu’Olympus pourrait rejoindre l’alliance « monture L » au travers d’une licence d’exploitation (ce dernier sortant alors courant 2019 un FF mirrorless). Dans le même temps, Olympus étant moribond, cette rumeur semble difficile à croire.

Les transformations à venir

Le déclin de l’APS-C

L’APS-C, comme le micro 4/3, est un format qui s’est imposé, car il présente des avantages certains comme les coûts de production et le facteur d’agrandissement du champ visuel (1,5 x en moyenne). De plus, il était difficile de miniaturiser les reflex Full Frame. La gamme K-1 de Pentax est sans doute l’aboutissement ultime de cette course à la compacité. Le principe de la « cage reflex » avec les prismes et miroirs, ne permettra pas d’aller plus loin.

Beaucoup de photographes se sentent à l’étroit dans le format APS-C et souhaitent revenir au full frame. Si la transition du reflex vers l’hybride s’accélère comme il est permis de le penser, l’essentiel de la production de boîtiers risque de s’orienter vers le plein format. Dès lors, l’APS-C devrait aller en déclinant, restant réservé majoritairement à la famille reflex. Cela se fera progressivement, car il y a toujours un marché.

Un lent déclin du Reflex

À court terme, le reflex ne disparaîtra pas. Pour plusieurs raisons :

  • Le ticket d’entrée dans le monde hybride moderne est très important. Les Nikon Z6 et Z7 sont positionnés à 2300 et 3700 € respectivement, boîtier nu. Et le Canon EOS R à 2500 €. Ces prix sont loin d’être démocratiques et il faudra en plus investir dans de nouveaux objectifs si on souhaite pleinement utiliser le potentiel des nouveaux concepts.
  • Les ventes hybrides et reflex ne devraient pas s’inverser avant 2 ans. 1 an si il y a inondations de produits à « petit » prix. Dans un premier temps, le nombre de primo-accédants sera suffisant pour lancer le mouvement, mais pas accès pour faire baisser mécaniquement les prix.
  • Aujourd’hui, le marché de la photo continue à baisse. Elle est plus lente qu’à une époque, mais elle continue. Et tous les segments sont concernés par la baisse. Hybride inclus.
  • Le parc de boîtiers reflex en utilisation est énorme. En théorie. Avant que les volumes vendus soient identiques, il se passera bien 15 ans. Si ce n’est 30 ! Sauf que dans la pratique, le parc des boîtiers reflex pourrait être moindre que ce que l’on pense. Nombreux sont ceux qui utilisent désormais leur smartphone. De plus, il m’étonnerait fort que toutes les marques produisant de l’hybride et du reflex abandonnent le second instantanément. Le manque à gagner économique serait trop important.

Il convient donc de raison garder. Le Reflex ne va pas disparaître du jour au lendemain. Ne vous sentez pas obligé de vendre immédiatement votre matériel.

La montée inexorable de l’hybride

L’hybride, on l’a vu, trace sa route. Il sera intéressant de voir comment les ventes de Canon et Nikon vont évoluer. Car le vrai risque pour ces 2 firmes est d’être arrivé sur le marché trop tardivement. Il va s’écouler quelques mois avant qu’un écosystème soit au rendez-vous. Au rythme de 5 objectifs par an, il faudra 2 ans pour avoir une gamme homogène. D’ici là, le leader des hybrides aura sans doute conforté sa place.

Car Sony, en partant plus tôt dans la course, s’est installé et propose aujourd’hui des produits très intéressants. Je ne serais pas étonné que la firme soit leader du marché à terme.

La transformation due…

Même si le déclin sera lent, je n’ai aucun doute sur le fait que les professionnels du marché sont déjà en train de préparer cette transformation. Parce qu’il y va de leur survie économique. Et par « professionnels », j’entends les fabricants eux-mêmes, les magasins de vente au grand public et les spécialistes de l’occasion. Les incidences vont être en cascade et plus nombreuses que l’on croit.

Marché du neuf

Côté marques, ces derniers ne s’attendent pas à une ruée immédiate et totale de tous les acheteurs vers ces nouveaux boîtiers avant la fin l’année. Non, cela prendra bien 2 ans avant que la bascule ne s’accomplisse. Le temps de voir des boîtiers moins chers apparaître, car les prix actuels sont assez hauts et pas à la portée de toutes les bourses. Ce qui ne manquera pas d’arriver, dans le sillage de ceux qui viennent d’être annoncés. Mais surtout, le temps de sortir suffisamment d’objectifs ! Il est compliqué pour un opticien de sortir plus de 4 à 5 nouveaux objectifs par an. Ce qui existe aujourd’hui est encore insuffisant pour basculer.

Sans compter que la concurrence ne va pas se laisser faire, à l’instar de Sony qui, après avoir grappillé de nombreuses parts de marché, va défendre sa position. Une réaction est à prévoir dans les mois à venir, ce qui devrait permettre l’apparition de modèles un peu plus abordables. Il y a deux évènements majeurs à l’horizon, les Jeux olympiques dans 18 mois et, surtout pour le Japon, la coupe du monde de Rugby au pays du soleil levant.

Il est possible que l’on voie également les prix des reflex partir à la baisse. Faible au départ, elle pourrait s’accentuer au fur et à mesure que l’hybride augmentera sa part de marché. Jusqu’à la quasi-disparition du reflex… dans 10 ans ou plus !

Les vendeurs / revendeurs vont répercuter le mouvement, au fur et à mesure que les marques accorderont des rabais supplémentaires aux centrales d’achats. D’ici Noël, le marché devrait commencer à bouger sérieusement. Avec l’arrivée des Nikon Z et des Canon EOS R, les lignes vont être sérieusement chahutées ces prochains temps. À condition que Canon et Nikon rencontrent un engouement. Il sera intéressant d’entendre les réactions au Salon de la Photo à Paris et voir les chiffres de vente post fêtes de fin d’année. Possible que l’on soit surpris.

Et celui de l’occasion

Si le marché du neuf se modifie, celui de l’occasion va aussi changer. Ce qui est normal puisqu’ils sont liés. Gageons donc qu’à terme, le prix de l’occasion va chuter au fur et à mesure que le marché du FF hybride va se développer. Et comme l’occasion est en lien direct avec l’offre et la demande, si les mises en vente sont plus importantes que les achats, la chute des tarifs risque d’être importante.

Comme d’habitude, le marché va être lancé par les primo-accédants. Les early user/adopter, ceux qui ont les moyens financiers d’acheter les nouveaux matériels hors de prix, vont se ruer d’ici la fin de l’année. Et ils vendront leur matériel actuel. Ces personnes revendent traditionnellement au travers du circuit « officiel », celui des magasins ayant pignon sur rue.

Dans un premier temps, ce sera donc sur le marché de la reprise en magasin que l’on va constater le phénomène. Et ces magasins, ne pouvant se permettre d’avoir une trésorerie importante immobilisée, vont très vite réduire les conditions d’offres de reprise aux acheteurs de nouveaux boîtiers. En baissant les prix de rachat. Évidemment, si ces primo-accédants estiment les offres insuffisantes, ils seront tentés de se tourner vers le marché entre particuliers… Qui lui-même baissera sous l’effet d’un afflux plus important. Dans la pratique, cette catégorie de personnes reste traditionnelle et il faudra patienter avant de voir le phénomène se répercuter dans ce marché.

Mais la roue est lancée.

Vers la fin des salons ?

Bien que ce soit une question dans le titre, je pense que l’on va vers la fin des salons orientés photo. La prochaine Photokina devrait avoir lieu en mai prochain (2019), soit dans environ 6 mois. Je serais très surpris qu’elle ait lieu, pariant plutôt pour une annulation, purement et simplement, au profit d’une édition en 2020. De manière générale, ces grandes messes sont sur le déclin et il n’est pas impossible que des acteurs majeurs s’en détournent. Ces salons coûtent cher et ne rapportent pas grand-chose, mis à part une certaine mise en avant pendant quelques jours auprès de personnes déjà convaincues par une marque. Le gain est faible.

Prenons l’exemple du salon de la photo parisien où le prix d’un stand (location et habillage) est important et où les marques ne peuvent vendre directement. Ce sont 3 enseignes qui ont le marché de la vente au sein du salon, grâce à un ticket d’entrée fort coûteux. Si aucune marque ne s’est désistée en pour l’édition 2018, la prochaine verra le départ d’au moins 1 acteur connu. Si ce n’est plus. Il est plus intéressant financièrement d’utiliser le budget prévu pour un salon sur d’autres actions, ciblées et plus rentables.

Prenons rendez après la Kina 2020 pour faire un état des lieux des salons. 

Et Pentax ?

Si on fait une comparaison, le passage à l’hybride ressemble au passage du vinyle au CD puis à la musique dématérialisée. Avec sans doute finalement la même conséquence, une domination sans partage de ces nouveaux formats, même si, à la longue, il subsiste un marché de niche pour les galettes musicales traditionnelles. Pentax peut se décider à emboîter le chemin de l’hybride ou, au contraire, se cantonner au marché de niche du Reflex APS-C et FF. La gamme et le marché reflex ne devraient pas disparaître, mais sa surface être extrêmement réduite. Ce qui est sûr, c’est que de tous les grands acteurs du secteur, Pentax / Ricoh Imaging est le seul constructeur à n’avoir fait aucune annonce en faveur du segment des hybrides.

Il y a quelques mois, sur PentaxKlub, j’ai émis l’idée que Pentax adopte la monture 4/3. Ceci dans le but de faire du cash et reprendre des parts de marché. Vu les phases de développement d’un tel projet (24 mois minimum), cela avait encore une certaine logique à l’époque. Adopter aujourd’hui cette démarche, ce serait un non-sens commercial. Au cours des 2 années à venir, le marché va se déplacer. On peut penser que l’hybride FF va être le grand gagnant. Une direction à prendre pour Pentax ?

Mais ce faisant, la firme devra y laisser une partie de son âme en délaissant la monture K au profit d’une nouvelle monture qui permettra un tirage plus réduit. Pourquoi pas la monture L, ce qui serait, d’une certaine manière, un retour aux sources. Avec une bague adaptatrice K <–> L pour la nostalgie. Cela permettrait de facto de disposer d’optiques, nerf de la guerre quand on sort un nouveau boîtier. Or les FF numériques Pentax ont grandement souffert de l’absence d’optiques.

J’ai une méconnaissance presque totale de la mentalité japonaise. On m’a récemment expliqué que les Japonais réfléchissaient beaucoup, se projetait dans le temps… Et n’aimait surtout pas lancer un produit dans le but de marcher dans les pas de son concurrent. Pour rattraper celui qui te précède, ne marche pas dans ses pas. Alors, gardons espoir que Pentax invente sa propre voie.

 

 

Article initialement publié sur PentaxKlub le 02/10/2018, que j’ai décidé de publier aussi ici, modifié et enrichi de quelques réflexions complémentaires le 07/10/2018 –  Photos : © constructeurs

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