Vendredi dernier, autour d’un verre, un de mes amis m’a dit qu’il avait le sentiment que je prenais moins de photos, mais qu’elles étaient de meilleures qualités. Sur le coup, flatté par son appréciation positive, j’ai répondu par l’affirmative. Sauf que cela n’était pas si vrai que cela. Oui, mes photos sont de meilleures qualités, mais non, je ne prends pas moins de photos. Par contre, je suis devenu plus exigeant dans mon tri, dans la sélection de ce que je montre. Ce qui expliquerait en partie le sentiment énoncé.
Une plus grande attention a été apportée sur les cadrages. Je vais tourner autour d’un sujet jusqu’à ce que je trouve ce qui, selon moi, sera le meilleur endroit pour la prise de vue. Une fois l’avoir trouvé, j’ai tendance à multiplier les prises de vues, en changeant de focale, en me décalant légèrement de côté. Un pas à droite ou à gauche, cela change la perspective. Changer de type de cadrage (de l’horizontal au vertical) permet également de modifier la façon de composer, offrant alors d’autres possibilités. Ensuite, il « suffit » de chercher un autre point de vue, différent…
Ce qui est vrai également, c’est que je suis souvent en pilotage automatique pour un certain nombre d’opérations de réglages. Si l’instinct joue un rôle important, c’est l’entraînement qui va compter, et pour beaucoup. Aujourd’hui, réglages, cadrages ou choix de focales ne sont plus des choses auxquelles je pense systématiquement. Pour mes pratiques habituelles, je « sais » d’avance les bons réglages. Et cela, si je ne prenais autant de photos, ce ne serait absolument pas possible. Seule la pratique régulière et fréquente de la photo permet d’atteindre ce niveau de certitude. Il est nettement plus facile d’être rapide et efficace avec de l’entraînement. Ce qui permet de laisser toute sa place à la créativité.
Et par « pratique régulière », ce n’est pas 10 photos une fois par mois. C’est accepter de shooter énormément. J’ai fait un petit calcul pour sur l’année 2016. Résultat des comptes, la moyenne est de 90 shoots par heure. Avec quasiment jamais de rafales, mais parfois du bracketting d’exposition.
Alors, j’entends çà et là que nos glorieux ancêtres n’en faisaient pas autant. Pour avoir vu de nombreuses planches contacts argentiques de maîtres comme Cartier-Bresson, Salgado, Clergue ou encore celles de celui qui m’a donné le goût de la photo, Roland Bénard, je sais qu’il n’en est rien. Sur un même sujet, ils prenaient tous de nombreux clichés. Simplement, ils étaient limités par le nombre de pellicules et le développement parfois coûteux.
Quand je prends une photo, il est difficile de savoir ce que le cliché va réellement offrir. Certes, il est possible d’imaginer un résultat, parce qu’à force de travail, une visualisation mentale devient possible. Je « sais » aussi parfois qu’une photo en particulier sera meilleure que les autres parce qu’il y a quelque chose en plus au moment où j’ai appuyé sur le déclencheur. Mais rien n’est jamais certain. Ce qui paraissait bien peut se révéler une franche déception tandis que, parfois, en prenant des sujets qui me paraissaient moyens, il y a eu de bonnes surprises. Le résultat, il sera découvert en post-traitement. Quand la photo apparaîtra à l’écran et on s’appliquera à faire ressortir les détails entre-aperçus dans le viseur.
La photo est un investissement et il s’agit d’une activité chronophage. C’est comme pour la musique, il convient de faire ses gammes, de répéter. Cela passe par beaucoup de prises de vues, du temps pour s’interroger sur le résultat obtenu et du temps pour le développement. Quand une personne me dit qu’elle est capable en permanence de prendre une seule photo d’un sujet et que le résultat obtenu est parfait, j’ai du mal à y croire. Celui qui se restreint dans la prise de vue ne peut progresser. Le côté « réfléchir et déclencher moins », je n’y crois pas. Au contraire, il faut « réfléchir plus et déclencher plus ». Et trier.
Au final, si je prends moins de photos identiques d’un même sujet, j’en prends plus de différentes dudit sujet. Ce n’est pas la même chose et cela fait toute la différence.
Alors, n’hésitez pas à shooter. Toujours et encore. Encore plus.