Réflexions sur les photos de Vivian Maier

Fin 2021, j’ai été à l’Orangerie du Palais du Luxembourg voir l’exposition consacrée à Vivian Maier. J’en suis sorti avec une impression étrange, heureux d’avoir vu une partie de l’œuvre, malheureux, car un sentiment de trahison domine.

Qui est Vivian Maier ? Américaine née d’un père austro-américain et d’une mère française, de sa vie, on ne connaît pas grand-chose. Elle a été gouvernante d’enfants, restant au service d’une famille en particulier pendant presque 17 ans. Initiée à la photographie assez tôt, elle va prendre de manière continue des clichés avec son Rolleiflex. À sa mort en avril 2009, on estime qu’elle aurait pris près de 120 000 photographies, essentiellement de rue. Mais faute de moyens financiers suffisants, une grande partie restera sous forme de pellicule et de négatifs dans des boites en carton ou dans des malles. Néanmoins, il existe des clichés papier, dont certains tirés par elle. Ce qui permet de comprendre la manière dont elle réinterprétait ses clichés lors du tirage.

Vivian Maier n’a pas été connue comme photographe de son vivant. Après sa mort, la découverte par hasard de son travail par John Maloof, auteur d’un livre sur Chicago en recherche de photographies pour l’illustrer, changera tout. Lors d’une vente aux enchères, il devient propriétaire, en autre, d’une malle contenant photographies, négatives, et films non développés. Comprenant le « trésor » acheté, il décide de retrouver les autres lots et de faire connaître l’œuvre de cette photographe talentueuse et méconnue. 

Vivian Maier, c’est vous, c’est moi. C’est tout le monde. C’est l’histoire d’une personne qui voulait entrer en relation avec les autres, tout en ayant la crainte d’être submergée par les émotions. D’où sa mise en retrait avec une mise en scène d’elle-même via des selfies, une interaction avec les autres qu’elle pouvait maitriser. Vivian Maier, c’est une personne qui a trop regardé sa propre existence se dérouler devant elle, impuissante. Elle avait l’impression de voir des choses que les autres ne pouvaient pas. Elle faisait des photos différentes parce qu’elle était différente.

C’est sans doute parce que Vivian Maier ressentait cela profondément qu’elle n’a pas cherché à montrer son travail. Pour empêcher que l’extérieur et les autres entrent dans son monde. Elle a gardé ses photos pour elle, car ses photos, c’était elle, Vivian Maier. Et peut-être que de les exposer, c’est une première trahison envers elle.

Et puis, j’ai eu le sentiment de voir, durant l’expo, une trahison de l’œuvre de Vivian Maier. On n’y retrouve qu’une petite partie de la colossale collection, ce qui est normal. Toutes les photos, ou presque, ont été retirées dans le format originel 4×4 du Rolleiflex. Or sur les tirages papier d’époque (dans les années 1955), un recadrage avait été appliqué, mettant mieux en avant certains éléments. Avec la version non recadrée, les clichés prennent souvent un autre sens. Comme si on niait ce que Vivian Maier avait voulu insufflé. 

cadrage différent, trahison ?
Le cadrage du tirage originel et celui de 2014 n’expriment pas la même chose. Y’a-t-il eu « trahison » en 2014 ?

Et puis, ces clichés sont plus gris, plus ternes, plus contrastés… Elles ont un aspect « numérique moderne terne » qui ne leur fait pas toujours honneur. C’est une interprétation des intentions, des sentiments de l’auteur post mortem, mais sans les connaître puisque Maloof et Maier ne se sont jamais rencontrés et qu’elle n’a pas laissé d’écrits. J’ai l’impression qu’il plane un malaise diffus, que je suis peut-être sans doute le seul à ressentir…

À noter que, sans les tirages d’époque, il n’y aurait pas ce malaise puisque les points de comparaison seraient inexistants. Mais la juxtaposition change la donne.

Un dernier point pour en finir. Pour certains, Vivian Maier n’a pas sa place au Panthéon des grands de la photo humaniste1, à l’instar des Roonis et autres Weiss. Sous le prétexte horrible qu’elle n’a pas influencé son époque. Ce n’est pas mon avis. Oui, elle n’a pas pu influer puisqu’elle était inconnue jusqu’à sa mort. Mais son apport à la Photographie est indéniable, ne serait-ce que par la technique et par l’approche de la photo de rue. D’une certaine manière, elle est parmi les premiers à faire des selfies. Elle en est peut-être même l’inventrice ! Sans compter que rien n’empêche à son influence de s’étendre maintenant. 

Vivian Maier est une grande. 

 

Exposition jusqu’au 16 janvier 2022, il faut y aller.

(1) Lu dans un article (payant) de Télérama (mi-septembre 2021).

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